TRIO : UN DIRECTEUR HORS NORMES ET DEUX PLASTICIEN.NE.S

2° PARTIE :
L’EXPOSITION « TINGUELY », CENTRE POMPIDOU, PARIS, 1988-1989 

Initialement à la tête du musée d’art moderne de Stockholm, Pontus Hulten qui fut le premier directeur du Centre Georges-Pompidou de 1977 à 1981, est rappelé en 1988 comme conseiller de la présidence du Centre Pompidou. 

Il fait alors venir à Paris l’exposition rétrospective de Jean Tinguely qu’il a élaborée l’année précédente à Venise où il était directeur artistique du Palazzo Grassi.


Portrait de Jean Tinguely : « Anarchiste, anti-consumériste et roi de la récup… »
Jean Tinguely est un sculpteur suisse, né en 1925 à Fribourg et mort à Berne en 1991.

Enfant, Jean Tinguely crée, dans la forêt, au bord du ruisseau, une vingtaine de moulins hydrauliques et sonores, faits de roues de bois et de boîtes de conserves heurtées. Ces réalisations éphémères révèlent déjà son intérêt pour la construction, les matériaux pauvres, la roue, le temps, le mouvement, la vitesse et le son. 
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il fait un apprentissage de décorateur/étalagiste puis suit des cours à l’Ecole des Arts appliqués de Bâle où il découvre l’Art contemporain et en particulier l’Art abstrait, le Dadaïsme, le Bauhaus et le Constructivisme russe. C’est là qu’il rencontre en 1944 Eva Aeppli (1925-2015) qui devient sa compagne et qu’il épousera par la suite (en 1951). Jean Tinguely exerce alors son métier de décorateur/étalagiste et s’intéresse à la peinture.

Jean Tinguely Impasse Ronsin à Paris.

Jean Tinguely et Eva Aeppli s’installent à Paris fin 1952.
Alors qu’Eva réalise des poupées de tissu, Jean Tinguely continue son métier de décorateur et ses premières créations de sculptures métalliques qu’il expose à partir de 1954. 
En 1955, ils emménagent dans l’Atelier de l’impasse Ronsin.
En 1960, Jean Tinguely se sépare d’Eva Aeppli pour vivre avec Niki de Saint Phalle (1930- 2002), rencontrée en 1956 (qu’il épouse en 1971 et avec laquelle il va collaborer pendant trente ans malgré leur séparation de 1973). En octobre 1960, Jean Tinguely signe le « Manifeste des Nouveaux Réalistes » avec ses amis Yves Klein, Daniel Spoerri et le critique Pierre Restany mais également Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse et Jacques de la Villeglé.

  • Les créations des années 1945-1960 : Une grande richesse et diversité d’inventions :

Influencé par l’art d’Alexander Calder, Jean Tinguely abandonne la peinture et commence à s’intéresser au mouvement dans l’espace. 

« Le chat mobile » de Calder

Alexander Calder (1898-1976), sculpteur et peintre américain, est célèbre pour ses mobiles et ses stabiles. Il reçoit une double formation d’ingénieur et d’artiste qui stimule son extraordinaire inventivité.
« Pourquoi l’art devrait-il être statique ? En regardant une œuvre abstraite, qu’il s’agisse d’une sculpture ou d’une peinture, nous voyons un ensemble excitant de plans, de sphères, de noyaux sans aucune signification. Il est peut-être parfait mais il est toujours immobile. L’étape suivante en sculpture est le mouvement ». Alexander Calder

Jean Tinguely aurait aussi pu être impressionné par Heinrich Anton Müller (1869-1930) un artiste suisse, peintre et sculpteur, l’un des représentants importants de l’art brut qui réalise d’imposantes machines. Vigneron, il construit des machines destinées à faciliter le travail des viticulteurs. L’une de ses inventions, une machine à greffer la vigne est brevetée en 1903, mais sans la preuve qu’elle ait été réellement construite. A 37 ans, atteint de troubles mentaux Heinrich Anton Müller est interné dans une clinique psychiatrique. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie. C’est dans ce lieu qu’en 1914 il commence à s’exprimer artistiquement. Il construit des machines constituées de branches, de chiffons, de fil de fer ainsi que de grands rouages de différentes dimensions qui s’entraînent entre eux. Il ne subsiste plus que quelques photographies témoignant de ces étonnantes inventions détruites par leur créateur lui-même.

Une oeuvre de H.A Muller

Fasciné par l’assemblage des matériaux insolites et par le caractère non fonctionnel des mécanismes élaborés, Jean Tinguely réalise en 1954 des petites sculptures de fils de fer, à manivelle ou à moteur qu’il surnomme « Mes Moulins à Prières », des œuvres d’art animées sous le nom de « Méta mécaniques ».

Ces premières créations présentent des analogies formelles manifestes avec les machines mobiles de Mülller, les rouages agencés horizontalement et verticalement composent le même type d’assemblage.

J.Tinguely et le Moulin à Prières
« Le Moulin….
.. à prières »…
  • Les Méta-Matics :
    « Au moment où il crée la première de ses roues en fil de fer, Tinguely découvre une source presque inépuisable, un mécanisme dont l’objet n’est pas la précision mais l’anti-précision, une mécanique du hasard ».
    En 1959, il met au point ses machines à dessiner, les Méta-matics. À la fois sculptures, happenings et dessins. Il en réalise une vingtaine. Ce sont des sculptures animées qui se révèlent appareils à dessiner et à créer une œuvre d’art.
    Il suffit de placer une feuille de papier, d’appuyer sur un bouton pour mettre en marche le mécanisme et de laisser faire le bras dessinateur pour obtenir une sorte de dessin tachiste.
    Certaines Méta Matics sont portatives. Elles sont composées de métal et bois, fil métallique, courroies en caoutchouc, peintes en noir. De nombreuses autres sont fixes. Elles sont alors fixées sur un trépied en fer, des roues en bois, une feuille métallique façonnées, courroies en caoutchouc, tiges métalliques, le tout peint en noir avec un moteur électrique.

« Meta-Matic à dessiner » 1959
Meta-Matic à peindre
Meta-Matic 17 à peindre
  • L’art et la machine – le mouvement –  La cinétique qui a le mouvement pour principe :

« L’artiste se fait bricoleur, soudeur, mécanicien, ingénieur, sculpteur. Il utilise essentiellement des pièces recyclées en métal brut, rouillé ou peint (fil de fer, tôle, acier, fer, aluminium) et en bois. Mais aussi de toutes les matières (papier, carton, tissu, caoutchouc, plastique, verre, voire de l’eau, Fontaine, 1960) et de toutes sortes d’objets (pièces mécaniques, tuyaux, outils, boîtes, vaisselle, jouets, sculptures, vêtements, chaussures, meubles, instruments de musique, appareils électriques, éléments animaliers comme les plumes, la peau ou le cuir et plus tard le squelette) ».
Des décharges aux galeries d’art, Jean Tinguely a fait naître le mouvement dans l’art, transformant la ferraille en machines automatisées. « Il nous entraîne dans un monde chaotique où l’homme, perdu, ne maîtrise plus les objets ».

  • Le Transport
    En 1960, à son retour de New York, se tient à la Galerie des 4 Saisons à Paris, son exposition « L’art fonctionnel ». Pour transporter ses œuvres de son atelier de la rue de Poncin jusqu’à la galerie, Tinguely organise avec des amis Le Transport, autrement dit un convoi qui devient lui-même un happening :
« Gismo Parade » Paris mai 1960
Un engin à roues
Meta Matic sans date
  • Des tableaux animés et sonores :

Le Ballet des Pauvres – 1961

Ballet des Pauvres
Ballet des Pauvres
  • Les Philosophes  –  1988

« Lorsqu’il conçoit la série de Philosophes pour son exposition en 1988, Jean Tinguely pose un regard critique sur une institution qu’il admire tout en stigmatisant le pouvoir culturel qu’elle incarne, au cœur de Paris, dans un bâtiment monumental. Les philosophes qui ont inspiré Tinguely depuis sa jeunesse, ainsi que quelques amis artiste et autres personnalités, constituent les références de cette trentaine sculptures animées que comporte la série.
On peut reconnaître, sans qu’il s’agisse de véritables portraits, quelques attributs de ces penseurs, telles les plumes pour Jean-Jacques Rousseau, allusion à l’« état de nature »… »

Les philosophes

Au cours des années 1980, le thème de la mort occupe une place grandissante dans le travail du sculpteur comme dans « L’Enfer, un petit début »,une œuvre dans laquelle il pousse à l’extrême certaines de ses idées, notamment celle du mouvement.

« Enfer »
« Enfer » détails….

À partir de 1985, la santé de Jean Tinguely se dégrade et il doit être hospitalisé à plusieurs reprises. Il décède le 30 août 1991 à Berne.
« Lorsque Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely décident de se marier en 1971, ils ne forment déjà plus vraiment un couple mais sont liés indéfectiblement par l’art. Chacun se sent le plus à même de défendre les intérêts artistiques de l’autre, en cas de disparition de l’un d’entre eux. Ainsi, au décès de Tinguely, en 1991, Saint Phalle, épouse officielle, se retrouve avec la lourde responsabilité de gérer la succession de l’artiste, et de statuer sur le sort d’un musée dédié à Tinguely, dont les bases avaient été jetées du vivant de ce dernier. Il s’agit de choisir entre deux projets d’esprits diamétralement opposés. L’un est l’anti-musée conçu par Tinguely, qui avait déjà pris corps dans un gigantesque entrepôt, La Verrerie, isolé dans la campagne près de Fribourg, en Suisse, et visitable de façon restreinte.
Dans une ambiance obscure, on pouvait y découvrir ses œuvres mais aussi celles de ses amis : Niki de Saint Phalle, Eva Aeppli, Daniel Spoerri, Bernard Luginbühl… L’autre projet, plus classique, peut être initié à Bâle, grâce au soutien du collectionneur et ami Paul Sacher, avec qui Tinguely avait souvent discuté d’un possible musée dans la ville de sa jeunesse. C’est cette seconde solution que choisit Niki de Saint Phalle, à l’encontre de l’avis de la plupart de ses amis, mais avec l’appui de Pontus Hulten, qui en sera le premier directeur et réalisera la muséographie de la présentation d’ouverture, en 1996 ». Extrait du dossier de Presse.

Musée Tinguely à Bâle en Suisse

Les machines de Tinguely sont des anti-machines, plutôt que des machines. : « Mes machines ne font pas de la musique, mes machines utilisent des sons, je les laisse vivre leur vie, je les libère… L’unique chose stable, c’est le mouvement, toujours et partout » Jean Tinguely 1966.

Ici s’achève la deuxième partie de cette exceptionnelle exposition!
Très vite vous retrouverez la troisième partie consacrée à Niki de Saint Phalle
À très bientôt
🙂

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