TRIO : UN DIRECTEUR HORS NORMES ET DEUX PLASTICIEN.NE.S

3° PARTIE : L’EXPOSITION « NIKI de SAINT PHALLE »
CENTRE POMPIDOU, PARIS, 1980.

«  Pour cette exposition l’artiste sélectionne des œuvres de toutes ses séries pour un parcours qui n’est pas strictement chronologique. La rétrospective met également en valeur la dimension architecturale et monumentale de plusieurs projets de Saint Phalle, achevés ou en cours, à travers photographies, dessins et maquettes »… Sophie Duplaix, Conservatrice en chef des collections contemporaines Musée national d’art moderne – Centre Pompidou (Extrait du dossier de presse)

Affiche de l’exposition Niki de St Phalle à Pompidou, 1980.

« L’affiche de l’exposition, sans concession, présente le dessin coloré d’une femme en porte-jarretelles, dans toute sa féminité. Des nombreuses sculptures auxquelles elle fait écho jusqu’aux Tableaux-tirs dégoulinant de peinture et suggérant une violence traditionnellement associée à la virilité, l’exposition dérange. Ou, plutôt, elle convie un public ouvert, dont la mentalité peut évoluer notamment grâce à l’art donné à voir en ce lieu innovant qu’est le Centre Pompidou, placé sous le signe de la haute technologie, de la couleur et de la modularité. » (Extrait du dossier de presse).

Niki de Saint Phalle.

« Française de naissance, naturalisée Américaine, puis Suisse, Italienne de cœur. Comme elle aime à se décrire, Niki de Saint Phalle est une citoyenne du monde ». 
Née en 1930 à Neuilly-sur-Seine et décédée en 2002 à San Diegoen Californie, Niki de Saint Phalle, de son vrai nom Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle, a grandi entre deux cultures. Issue d’une famille de la noblesse française par son père, elle passe son enfance entre la France et les Etats-Unis, le pays de sa mère Jeanne Jacqueline Harper. 
Niki de Saint Phalle a d’abord été mannequin avant d’aborder l’art en autodidacte. A 18 ans, elle épouse Harry Matthiews, avec qui elle aura deux enfants.
Elle n’a suivi aucun enseignement artistique académique mais s’est nourrie d’abondants échanges artistiques avec ses aînés et contemporains. S’inspirant de plusieurs courants : art brut, art outsider, elle a commencé à peindre en 1952.
En 1961, elle est la seule femme membre du groupe des « Nouveaux Réalistes » fondé par Yves Klein et Pierre Restany. 

En 1953, victime d’une grave dépression nerveuse, elle est soignée en hôpital psychiatrique et les électrochocs  qu’elle y reçoit altèrent sa mémoire.
« J’ai commencé à peindre chez les fous… J’y ai découvert l’univers sombre de la folie et sa guérison, j’y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l’espoir et la joie. »
Vers 1955, elle voyage en Espagne avec son mari et découvre les jardins de Gaudi dont elle s’inspirera à partir de 1978 et jusqu’à la fin de sa vie pour entreprendre ce qui sera son grand œuvre : « Le Jardin des Tarots », situé en Toscane. 
Elle s’éteint à l’âge de 71 ans le 21 mai 2002 à San Diego, en Californie.

À Paris, où elle trouve son inspiration au Musée d’Art Moderne, elle rencontre Jean Tinguely qu’elle épousera en 1971, après avoir divorcé de Harry Matthews.
Pendant longtemps, Niki de Saint Phalle cache un lourd secret, le viol par son père à l’âge de onze ans, qu’elle révèle dans son livre « Mon secret », initialement publié aux éditions de la Différence en 1994. Epuisé,  il vient d’être réédité en mai 2023 par Les Editions des femmesAntoinette Fouque et Le Rayon Blanc.
C’est un témoignage poignant sur l’inceste. Dans ce court récit (40 pages) écrit à la main, c’est la parole intime de l’une des plus grandes artistes plasticiennes du XXe siècle et «le cri désespéré de la petite fille» qui s’expriment. À l’âge de 64 ans, l’artiste entame ce texte rédigé sous forme de lettre adressée à sa fille Laura. Elle y raconte l’indicible avec des mots simples et poignants. 
« J’ai écrit ce livre d’abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce drame qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. Je suis une rescapée de la mort, j’avais besoin de laisser la petite fille en moi parler enfin. Mon texte est le cri désespéré de la petite fille ». Niki de Saint Phalle.


Le livre « Mon secret » 1994
  • Portrait d’une artiste libre et flamboyante, une des figures les plus marquantes du XXe siècle.

À la fois plasticienne, peintre, sculptrice, réalisatrice et pionnière en matière de performance artistique, Niki de Saint Phalle fait partie au début des années 1960 des premières artistes femmes à acquérir la célébrité de son vivant. Avec son imaginaire et ses créations monumentales, percutantes, colorées et politiques, Niki de Saint Phalle a marqué l’histoire de l’art.
Dans les années 1960, l’artiste invente les “Tirs”, des œuvres explosives où la peinture jaillit sous l’impact des balles. Des performances spectaculaires, libératrices, et aujourd’hui emblématiques.

  • « Faire saigner la peinture »  Des œuvres-performances…

« … En tirant sur moi, je tirais sur la société et ses injustices. En tirant sur ma propre violence, je tirais sur la violence du temps ». Niki de Saint Phalle.

Niki de Saint Phalle a commencé ses « Tirs » en 1960 avec des fléchettes sur des tableaux-cibles. Dans ces silhouettes, on peut reconnaître celle du père haï, qui l’a violée à l’âge de onze ans. 
À partir de 1961, dans la série « Les Tirs » qui vont suivre, Niki laisse éclater sa rage contre « Papa, tous les hommes, les petits, les grands, mon frère, la société, l’église, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, moi-même (…).
Après avoir « tiré tous azimuts », elle déclare : « Victime ! Prêt ! À vos marques ! Feu! Rouge ! Bleu ! Jaune ! La peinture pleure, la peinture est morte. J’ai tué la peinture. Elle est ressuscitée. Guerre sans victime ! » 
Niki est en révolte contre le monde qui a généré des guerres, des massacres, le bombardement atomique d’Hiroshima, la guerre d’Algérie, contre «un monde secoué de convulsions violentes».
Elle confectionne, à la main,  des tableaux-reliefs recouverts de plâtre dans lesquels elle inclut des poches de peinture, des bombes de couleur et même des produits alimentaires comme des œufs. 
Devant un public médusé, l’artiste vise à la carabine ses tableaux-reliefs. À chaque coup de feu, les sachets éclatent, libérant des flots de couleurs. Les “tableaux-tirs” dégoulinent alors de peinture, transformant la toile en champ de bataille et renversant les codes de la peinture traditionnelle. 


Niki de Saint Phalle : séance de Tirs dans une cour à Stockholm 14 mai 1961 (crédit Lennart Olson)

Niki de Saint Phalle : séances de Tirs Impasse Ronsin 26 juin 1961

Niki de Saint Phalle : séances de Tirs 26 juin 1961…
… Exposition « Feu à volonté » Galerie J,  Paris

L’aspect spectaculaire de son travail fait d’elle l’une des membres les plus médiatiques du mouvement du « Nouveau Réalisme ». Elle invite des amateurs à tirer sur la toile, au hasard. L’œuvre trouve alors sa forme définitive, sous l’impulsion du public, pour exprimer la violence de la société. 
En s’emparant d’une carabine pour tirer sur ses compositions et « faire saigner » sa peinture, l’artiste bouleverse le monde de l’art. Si les Tirs sont aujourd’hui des performances iconiques de l’artiste qui lui ont permis de s’affirmer au sein de la scène artistique, la série fut très critiquée pour sa violence qui suggère une appropriation d’un comportement assigné au genre masculin. Par ce geste, elle retourne la violence contre le cadre même de la peinture et de l’ordre établi. « L’histoire, la religion, la politique : Niki de Saint Phalle a tiré sur tout ! »
Le Tableau-relief King Kong en est l’illustration :


Niki de Saint Phalle : « King-Kong », 1963 

Ce monumental Tableau-tir, l’un des plus ambitieux de Niki de Saint Phalle, est directement inspiré des films sur King Kong que l’artiste, férue de cinéma fantastique, a vus. Sous la forme d’un dinosaure, le monstre s’apprête à détruire tout un quartier d’une ville, tandis que des masques à l’effigie des tenants de la guerre froide viennent rappeler le contexte de cette possible fiction, à laquelle se mêlent de façon incongrue d’autres visages issus de la culture populaire. Réalisée pour la Dwan Gallery de Los Angelès, l’œuvre, avec ses études, reste pendant des années dans les réserves jusqu’à ce que Pontus Hulten en sollicite le don pour Moderna Museet, à charge pour lui de rapatrier l’ensemble à Stockholm.

  • Niki de Saint Phalle a fait de son art le lieu de nombreux combats.

Femme artiste engagée et militante elle ne fait aucun compromis. Elle soutient la libération et l’émancipation des femmes, la cause des Noir.es américain.es, celle des malades atteints du sida…

  • Le combat contre la religion et contre la guerre et les peuples colonisés :
  • L’émancipation des femmes en particulier est au cœur de son travail :

Après « Les Tirs », Niki de Saint Phalle entame une nouvelle série qui met en scène les stéréotypes féminins à travers des sculptures-reliefs particulièrement troublantes. 
À une époque où l’art reste largement dominé par les hommes, Niki de Saint Phalle impose sa voix. Aujourd’hui encore, les éclats de couleurs continuent de résonner comme autant de coups de feu contre les injustices et les carcans.

Le thème de la mariée apparaît en 1963 au sein d’un nouvel ensemble de sculptures dédié à la condition féminine, en y jetant un regard acerbe et profondément dérangeant. Si l’artiste est devenue, très jeune, épouse et mère, elle s’est toujours insurgée contre la soumission des femmes à leur conjoint et aux divers rôles que la société leur assignait alors. La figure de « La Mariée », par sa posture légèrement courbée, ses yeux hagards et la constellation de petits jouets dérisoires figés dans son buste, incarne la souffrance de la femme prisonnière des conventions sociales :


Niki de Saint Phalle : « La Mariée », 1963 (autre titre Eva Maria).

« Accouchement rose » est une sculpture-relief qui dénonce l’assignation pour les femmes à être essentiellement dans la fonction reproductive :


Niki de Saint Phalle : « Accouchement rose », 1964

Dans la déclinaison des rôles féminins auxquels l’artiste s’attaque avec violence, cette « Crucifixion« , est la plus iconoclaste. Présentée au mur tel le martyr auquel le titre fait allusion, cette femme sans bras, dont la tête est ornée de bigoudis, dénonce sans détours l’absurdité d’une condition qu’il est temps de dépasser :


 Niki de Saint Phalle : « Crucifixion », vers 1965 (autre titre : Leto)
  • Les Nanas

À partir du milieu des années 1960, Niki de Saint Phalle peuple le monde de Nanas, ces figures féminines colorées aux courbes généreuses. À une époque où les femmes sont encore largement limitées dans leurs aspirations, les Nanas, optimistes, actives, représentent un imaginaire libérateur. Monumentales, colorées, elles affirment leur présence, leur émancipation et leur pouvoir. 
Les Nanas portent des prénoms qui sont souvent ceux des proches de l’artiste… Elles s’appellent Louise, Elisabeth, Nana, Black Rosy…


Niki de Saint Phalle : « Les Nanas »

Niki de Saint Phalle : « Les Nanas »

C’est le corps de sa sœur Elisabeth enceint qu’évoque ici cette Nana aux formes généreuses qui fait écho aux rondeurs et aux coloris de la gigantesque déesse-mère de l’exposition de Stockholm, « Hon/Elle – en katedral » 1966 » (voir l’article sur l’Art d’être Curieux, de la première partie) :


Niki de Saint Phalle  « Elisabeth », 1965 
  • Le combat contre le racisme et les discriminations :

L’œuvre de Niki de Saint Phalle est par essence une œuvre de tolérance. Ayant grandi en partie aux États-Unis alors que la ségrégation raciale était encore en cours, l’artiste est très tôt sensible à la cause des Afro-Américains. 
Trouvant les personnalités noires insuffisamment reconnues, elle leur consacre en 1998 une série de sculptures.

En hommage aux héroïnes de la condition noire qu’elle a toujours défendues, Black Rosy, l’une de ses premières Nanas noires, renvoie à la militante Rosa Parks, magnifiée par sa taille, ses formes généreuses, son haut bigarré et sa jupe garnie de cœurs roses :


Niki de Saint Phalle : « Black Rosy » ou « My Heart Belongs to Rosy », 1965 (Rosy noire ou mon cœur appartient à Rosy) 

Niki de Saint Phalle, L’atelier de l’artiste –  extraits d’une interview réalisée en 1969

  • Des personnages qui dérangent

Après les Nanas épanouies et joyeuses, Niki de Saint Phalle qui ne veut pas laisser son travail se réduire à cette série très populaire, entame un ensemble d’œuvres particulièrement dérangeantes : « Les Mères dévorantes ».
Elles sont difformes, à l’image qu’elle se fait de sa propre mère, non pas sur le plan physique mais moral et psychologique. 


Niki de Saint Phalle : « La Promenade du dimanche », 1971
Dans « La Promenade du dimanche », un couple – qui pourrait être celui de ses parents – tient en laisse une araignée géante.

La femme laide et énorme semble écraser l’homme chétif, leurs regards hébétés inspirant tant le rire que l’effroi.

Niki de Saint Phalle : « L’Aveugle dans la prairie », 1974 
« Si l’homme est aveugle, c’est sans doute parce qu’il ne voit pas la vache joyeusement bariolée,
bien plus intéressante que son terne journal. »
  • Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely : une histoire d’amour et d’amitié artistique ininterrompue

En 1971, Niki de Saint Phalle réalise un livre, un « leporello », qui se présente sous la forme d’un soufflet que l’on déplie comme un accordéon. En quelque sorte, un livre qui s’anime :

  • Hommage à Jean Tinguely

À partir de 1985, la santé de Jean Tinguely se dégrade et il doit être hospitalisé à plusieurs reprises. Il décède le 30 août 1991 à Berne.
En 1992 Niki de Saint Phalle va lui rendre un vibrant hommage qui prend la forme de « Tableaux éclatés » qu’elle conçoit juste après son décès.
Les tous premiers qui préfigurent la série, plus sommaires dans leur fabrication, sont explicitement dédiés à «Jean». Ce sont de petits éléments qui tournent sur eux-mêmes.
« Les Tableaux éclatés » sont animés d’un « éclatement » des différentes parties qui s’ouvrent et se referment dans un mouvement plutôt lent, mesuré. Des capteurs photosensibles déclenchent l’éclatement du tableau.


Niki de Saint Phalle : histoires de famille :
« Elle était très blagueuse ». Bloum Cardenas et Laura Gabriela-Duke, respectivement petite-fille et fille de Niki de Saint Phalle, livrent quelques souvenirs émouvants d’une femme hors du commun.

La Fontaine Stravinsky, appelée aussi Fontaine des automates a été aménagée en 1983 devant le Centre Pompidou. Elle s’inscrit dans le programme de création de « sculptures fontaines ». Jacques Chirac, maire de l’époque, confia la création de la plus importante des douze fontaines prévues dans ce cadre à Niki de Saint-Phalle et à Jean Tinguely.
La fontaine est composée de 16 sculptures : 7 mobiles de Jean Tinguely, 6 figures en résine colorée de Niki de Saint-Phalle et 3 sculptures réalisées conjointement. Ces œuvres d’art ont été imaginées sur le thème du ballet du  Sacre du Printemps, et rendent hommage au compositeur Igor Stravinsky dont la place porte le nom.
Les sculptures évoquent, par leurs mouvements et les sons qu’elles émettent, la musique du compositeur russe. Chacune d’entre elles porte un titre qui se rapporte de près ou de loin à une œuvre de Stravinsky : La Sirène, Ragtime, Le chapeau de clown, Le Renard, Le Cœur, La Diagonale, L’Éléphant, La Vie, Le Rossignol, Le Serpent, La Mort, L’Oiseau de Feu, La Clé de Sol, L’Amour, La Spirale et La Grenouille.

En 1993, sa santé fragile amène Niki de Saint Phalle à s’installer en Californie aux Etats Unis.
Jusqu’à sa mort en 2002, elle reste en contact avec Pontus Hulten qui décède à son tour en 2006.


… Écoutons
« Gulliverte » par Anne Sylvestre
:
Anne Sylvestre.

L’EXPOSITION :
« NIKI DE SAINT PHALLE JEAN TINGUELY PONTUS HULTEN »

que nous vous avons présentée en trois parties,
se trouve au Grand Palais à Paris jusqu’au 4 janvier 2026

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