CÉZANNE PEINT

Jusqu’au 12 Octobre, la municipalité d’Aix en Provence invite le public à rencontrer Paul Cézanne dans sa maison natale, « le Jas de Bouffan » – magnifique bastide du XVIIIe siècle – puis dans son atelier « l’Atelier des Lauves« , et enfin à travers une exposition de plus de 130 oeuvres venant du monde entier et réunies pour la première fois (dessins, peintures, photos..) au musée Granet : « Cézanne au Jas de Bouffan »).

Paul Cézanne est un personnage intrigant qui dévoile – à travers cet événement – un caractère plutôt fantasque… Sa personnalité changeante et exacerbée le conduira à des actions étonnantes comme d’utiliser les murs du grand salon du Jas de Bouffan comme support de ses peintures, ou réaliser 97 versions de la montagne Ste Victoire… (Dont une seule est exposée au musée Granet…)
« Précurseur de l’Art Moderne », comme se plaisent à dire les historiens d’Art, il est surtout un homme d’une vive sensibilité qui va chercher à faire partager sa vision du monde qui l’entoure en simplifiant formes et détails pour faire surgir l’émotion.


  • LE JAS DE BOUFFAN :

Né en 1839 et mort en 1906, Paul Cézanne était un amoureux de la Provence, qu’il n’a cessé de sublimer dans son œuvre. S’il aimait sa ville natale, Aix-en-Provence, il préférait s’éloigner du centre-ville pour peindre au calme. Et c’est ici-même, dans cette Bastide, que le peintre a débuté .
« Le Jas de Bouffan, tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur, deviendra le motif privilégié de Cezanne pendant une longue période« , raconte Bruno Ely, directeur du musée Granet.

Le Jas de Bouffan.
La cuisine du Jas de Bouffan.

En 1859, au moment de l’acquisition du Jas de Bouffan par Louis-Auguste Cezanne, le père de Paul Cezanne, la propriété de quatorze hectares est essentiellement agricole, puisqu’à côté d’amandiers, mûriers, oliviers, on y cultive la vigne. 

Cette demeure familiale restera la propriété des Cezanne pendant 40 ans. 
Jusqu’en 1870, elle ne sera occupée que durant les périodes estivales. 

Opposé au projet de son fils d’être peintre, Louis-Auguste Cezanne va l’« autoriser » à peindre sur les murs du salon … Pour mesurer ses talents ?
C’est ainsi que, dans cette grande bastide du XVIIIᵉ siècle, le jeune peintre de 20 ans va  se dépenser pour recouvrir tous les panneaux disponibles d’une peinture à l’huile que d’aucuns appelaient « couillarde », c’est à dire empâtée, agressive parfois, une peinture d’un Cezanne qui, avant l’impressionnisme, se découvre puissamment peintre. 

Ce grand salon fut son premier atelier, et pourtant, Cézanne n’a pas hésité à recouvrir ses toutes premières œuvres. C’est ce que révèle la visite du Jas de Bouffan. Si la plus grande partie de ces premières œuvres ont pu être transposées sur toile, et exposées au musée Granet, il reste encore aujourd’hui des fragments découverts récemment dans le Grand Salon.

Le Grand Salon : reconstitution numérique.
COMMENTAIRES SUR LE GRAND SALON DE DENIS COUTAGNE. CO-COMMISSAIRE.

Cézanne va entretenir un lien très fort avec cette maison familiale qui a nourri sa peinture et qui est devenue le centre de gravité de sa vie. Jusqu’en 1899, il reviendra sans cesse au Jas de Bouffan.
À partir des années 1870, la famille va occuper à plein temps le Jas. Finalement convaincu par les capacités de son fils à être un artiste peintre, son père lui installe un atelier au deuxième étage, éclairé par une grande verrière fendant la toiture, d’où sortiront ses plus grands chefs-d’œuvre.

Atelier du Jas de Bouffan

Dans cet atelier, Cézanne ne va pas seulement représenter la bastide, il y peint également ses premiers portraits : des membres de sa famille, des amis ou des ouvriers agricoles de la ferme voisine. 

Galerie de portraits. Entrée du Jas de Bouffan.
La galerie de portraits de Cézanne.
COMMENTAIRES DE LA GALERIE DE PORTRAITS PAR BRUNO ELY
DIRECTEUR DU MUSÉE GRANET.
L’allée des marronniers.
L’étang.
DANS LA SALLE À MANGER DU JAS DE BOUFFAN :
EXPOSITION DES TABLEAUX DESTINÉS À ÊTRE INSTALLÉS EN EXTERIEUR
,
LÀ OÙ CÉZANNE LES A PEINTS.

A la mort de son père en 1886, Paul Cézanne partage la propriété en indivision avec ses deux sœurs (Marie et Rose) mais, à la mort de leur mère en 1897, Rose veut récupérer sa part.
Le Jas de Bouffan sera donc vendu en 1899.

  • L’ATELIER DES LAUVES :

Après la vente du domaine familial, Cézanne s’installe dans le quartier de l’Hôtel de Ville – rue Boulegon précisément – et il achète un terrain sur la colline des Lauves, au dessus de la cathédrale d’Aix, pour s’y construire un atelier qui deviendra son dernier espace de création à partir de 1902. 

Entre 1902 et 1906, Paul Cézanne dispose alors d’un atelier construit à sa demande, selon ses plans, en un lieu choisi par lui sur la colline des Lauves, qu’il qualifie « de grand atelier à la campagne ».
De l’atelier, on domine Aix et sur la colline au dessus de l’atelier, on voit la montagne Sainte-Victoire au lieu dit « la terrasse des peintres » : Cézanne va peindre là ses dernières « Montagne Sainte-Victoire« . 


DAVID KIRCHTALER
Chargé des opérations monuments historiques 
Le jardin de l’atelier des Lauves.
L’atelier des Lauves.
Façade de l’Atelier des Lauves.
Dans l’atelier.

Cézanne, qui disait en 1866 qu’il fallait sortir de l’atelier, (« tous les tableaux faits à l’intérieur, dans l’atelier, ne vaudront jamais les choses faites en plein air ») y revient délibérément dans ce nouveau lieu de création, certain qu’avec lui son travail « sur nature » s’en trouverait accru.
Il y poursuit en tout cas ses études : « Je dois travailler six mois encore à la toile que j’ai commencée. » écrit-il à Gasquet en septembre 1903. On peut imaginer qu’il s’agit d’une version des Grandes Baigneuses qui ne seront jamais achevées.
Si le peintre préserva sa solitude pour l’unique réalisation de sa vie, la peinture (« La peinture est ce qui me vaut le mieux » lettre à son fils 26 août 1906), il n’en reçut pas moins avec affabilité et attention les amis et admirateurs. »
L’œuvre ultime s’accomplit dans le recueillement et le silence. Cézanne peint quelques natures mortes et autres tableaux…
C’est dans l’atelier des Lauves qu’il poursuivra le travail sur ses Grandes Baigneuses (visibles aujourd’hui à la Barnes Foundation de Philadelphie), le tableau qu’il avait commencé au Jas de Bouffan, et jamais achevé.

Paul Cézanne dans son atelier.
Paul Cézanne : « Les baigneuses ». Croquis.

On dit que Cézanne s’était juré de mourir en peignant. Il y est presque parvenu…
Le 15 octobre 1906, non loin de la route du Tholonet qu’il parcourait à l’adolescence avec Émile Zola, le peintre est surpris par un orage alors qu’il travaille sur un paysage. Il s’obstine, malgré la pluie torrentielle, et s’évanouit. Un homme le découvre inconscient et le ramène chez lui sur une charrette.

Le lendemain, il se rend malgré tout dans son atelier, bien décidé à finir le portrait de son jardinier Vallier. Il fait un nouveau malaise et succombe à une vilaine pleurésie, le 23 octobre 1906, à l’âge de 67 ans. Paul Cézanne repose au cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence. La ville de cœur d’un génie intemporel.

Paul Cézanne : « Le jardinier Vallier ». 1906.
Paul Cézanne sortant de l’atelier des Lauves.
peut-être pour s’installer sur sa terrasse et regarder la Sainte-Victoire  🙂

  • Le MUSÉE GRANET :
Entrée du Musée Granet.

Pour cet événement « Cézanne 2025 », le musée Granet a fait le choix d’exposer des oeuvres de Paul Cézanne réalisées au Jas de Bouffan, sa maison natale que vous venez de découvrir !

Une grande part est laissée au fameux grand salon de la bastide du Jas de Bouffan que Cézanne a utilisé comme terrain d’expérimentation artistique.
Dans un premier temps, il couvrira les murs de paysages puis peindra « Les quatre saisons » en les signant « Ingres » (?) et au centre desquelles il positionne le portrait de son père… Il fera des ajouts, recouvrira, repeindra etc. Il se cherche et surtout affirme son regard et sa ténacité à faire vivre son art.
Ces tatonnements, hésitations, retours en arrière, effacements… Vont lui permettre de décider de son style et le propulse parmi les peintres les plus connus, alors même qu’en France il ne sera pas vraiment reconnu !
Un grand chantier de restauration du Jas de Bouffan, en 2023, a permis l’étude de ces panneaux muraux, et très récemment, de nouvelles fresques ont retrouvées qui seront étudiées de près dès la fin des expositions.
Les conditions de préservation n’étant pas optimum au Jas de Bouffan(problèmes de températures, d’hygrométrie et de sécurité..) les peintures du Grand Salon sont exposées au musée et, comme vous l’avez vu, une reconstitution vidéo est proposée au Jas.

Dépose des peintures du Grand Salon.
Reconstitution du Grand Salon du Jas de Bouffan au Musée Granet.

L’autre thématique développée dans l’exposition est le portrait.
Cézanne s’exercera au portrait avec ardeur en captant les proches venus en visite au Jas…


Une salle des portraits.
Cézanne:  » Portrait d’Émile Zola ».
Cézanne :  » Portrait d’Anthony Valabrègue » 1870

Au détour d’une salle, on aperçoit un curieux assemblage de portraits : il s’agit des portraits de sa mère et de sa soeur peints recto et verso et tête bêche :

Portrait de Marie Cézanne, soeur de l’artiste. 1866
Portrait de la mère de Cézanne. 1866

Parmi ces portraits, on découvre de nombreux autoportraits… Comme pour guider le visiteur, ils sont placés par ordre chronologique dans chaque salle, pour montrer le regard que l’artiste porte sur lui-même…

Autoportrait sur fond rose . 1875.
Autoportrait. 1878-1880.

Cézanne aimait aussi peindre les « gens du peuple » qui l’entouraient.. Le jardinier Vallier ou des anonymes comme des paysans, des joueurs de cartes, des femmes…

Cézanne: « Les joueurs de cartes. » 1893-1896.
Détail des joueurs de cartes.
Cézanne : « l’homme qui fume » étude au crayon
pour « Les joueurs de cartes ».
Cézanne : « L’homme en blouse bleue ». 1896-1897.

En 2013, Bruno ELY, actuel Directeur et Conservateur du musée Granet,
racontait avec passion son coup de coeur pour un portrait peint par Cézanne :
« La femme à la cafetière » (1890)
Il explique là comment on peut déceler dans ce portrait les débuts de la peinture moderne :

Le Jas de Bouffan, c’est aussi pour Paul Cézanne l’apprentissage du paysage et des natures mortes.
Inlassablement l’artiste saisit les formes, les couleurs et organise la composition de ses tableaux en cherchant le meilleur équilibre… Alignements d’arbres, éclats de touches de couleurs, objets aux seconds plans…

« Dans le peintre il y a deux choses : l’oeil et le cerveau, tous deux doivent s’entraider ; il faut travailler à leur développement mutuel ; à l’oeil par sa vision de la nature ; au cerveau par la logique des sensations organisées (…) L’oeil doit concentrer, englober, le cerveau formulera ». (In « Cézanne » de Joachim Gasquet. 1921)

Une salle des paysages.
Cézanne : « Environs du Jas de Bouffan » 1885-1887.
Cézanne : « La montagne Ste Victoire »
Collection Gurlitt.

Bruno ELY, directeur du musée GRANET,
nous raconte la curieuse histoire de ce tableau de Cézanne,
appelé : « La Montagne Ste Victoire de la Collection Gurlitt. » :

Une salle des natures mortes.
Cézanne : « Nature morte aux pommes et melons » 1895.
Cézanne : « Nature morte aux pommes » 1895-1898.

« Une autre section de l’exposition sera réservée aux Baigneurs et Baigneuses. Entre dessins, peintures et aquarelles, ce thème met en lumière les recherches sur la figure humaine dans l’œuvre de Cezanne. Nous y retrouvons à la fois l’inspiration liée au thème classique des bacchanales, ainsi que les recherches plus modernes sur les volumes. Dans ces compositions, l‘expression érotique s’intègre à la volonté du peintre d’exprimer des recherches purement plastiques. Les corps des baigneurs et des baigneuses ont des formes anatomiques irrégulières, qui s’intègrent dans le paysage environnant, sans jamais perdre leur caractère charnel.
Ce thème a hanté Cezanne durant toute sa vie : il réalise autour de 200 compositions de baigneurs et baigneuses, parfois les laissant inachevées. Il est certain qu’il a élaboré ces compositions lentement, jusqu’à aboutir aux tableaux des Grandes Baigneuses. Certainement, il a commencé cette entreprise au Jas de Bouffan pour la poursuivre, sans jamais l’achever, à l’atelier des Lauves pendant les dernières années de sa vie. »

(Extrait du Dossier de Presse)

Cézanne : « Baigneuses et baigneurs » 1899-1904.
Plusieurs tableaux des Baigneuses…

Avant de quitter Aix en Provence,
des couleurs plein les yeux et le chant des cigales qui nous accompagne sur ce départ…
Nous avons voulu savoir comment on prépare un tel événement…
Johan KRAFT Responsable de la Communication du musée Granet
a bien voulu se prêter au jeu de nos questions :

Johan KRAFT
Photo : (c) Melania Avanzato
PRENONS LE TEMPS D’ÉCOUTER RADIO CLASSIQUE QUI NOUS OFFRE LE RÉCIT D’UNE AMITIÉ :
Magnifique hommage…
« Cézanne peint  » de Michel Berger.
Interprété par France Gall. 1985.
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