LABYRINTHE…

Pour le centenaire du Surréalisme, le Centre Georges Pompidou à Paris propose une très riche exposition sur le mouvement surréaliste.
Né en 1924 avec le « Manifeste du Surréalisme » d’André Breton (1896-1966, poète et écrivain français, principal animateur et théoricien du surréalisme) ce mouvement tant pictural/visuel que littéraire et musical, va marquer l’histoire de l’Art, par ce qu’il va bousculer les codes artistiques de l’époque, en projetant le « spectateur » dans l’imaginaire, le rêve et le fantasme…
Le mot « surréalisme » fait toujours partie de notre langage pour désigner ce qui n’est pas ordinaire ou qui échappe à la réalité. C’est le poète Guillaume Appollinaire qui attribuera le mot à ce mouvement artistique : « Il ne s’agit pas d’imiter la réalité mais de provoquer le rire en rompant avec les conventions. »

Une fois passée la « porte », l’exposition commence dans un tambour central où sont projetés des documents originaux comme le « Manifeste du Surréalisme » d’A.Breton,
prêté par la Bibliothèque Nationale…

« La porte »
Le tambour central…
Extrait d’une projection sur les murs du « tambour central »
Extrait des projections sur les murs du « tambour central »

Notre déambulation dans l’exposition nous emmènera chronologiquement à travers treize chapitres sur les artistes phares du mouvement et leurs thèmes de prédilection: « Entrée des médiums », « Trajectoire du rêve », « Lautréamont », « Chimères », « Alice »,  » Monstres politiques », « Le royaume des mères », « Mélusine », « Forêts », « La pierre philosophale », « Hymnes à la nuit », Les larmes d’Éros » et « Cosmos ».

Aborder le Surréalisme, c’est sortir des codes académiques de l’Art et accepter d’être un peu bousculé.e ! Les surréalistes nous envoient des images ou des sons qui reflètent leurs visions du monde, et nous invitent à les partager…
Une grande part de leur inspiration viendra des rêves ou des envies de rêves !
Qui ne voudrait pas se retrouver dans un nuage, un champ de fleurs, éventé par une plume ou la palme d’un arbre géant ?
Parfois ce sont des cauchemars: la projection du fascisme naissant et de ses absurdités nauséabondes et meurtrières…
Si on remarque avec joie quelques tableaux connus de Dali, Miro ou Magritte, l’exposition nous permet de découvrir des oeuvres moins connues de ces artistes et d’autres créateurs et créatrices moins célèbres. L’exposition fait aussi une place importante aux femmes qui ont participé au mouvement surréaliste.
On peut aussi re-voir des films un peu oubliés comme « Le chien Andalou » de Luis Bunuel (1929) ou « La maison du Docteur Edwards » d’Alfred Hitchcock (1940).

Extrait de : »La maison du Docteur Edwards » Alfred Hitchcock (1940).
Tableau: Grete Stern: « interprétation des rêves ». Et projection du film d’ Alfred Hitchcock
Victor Hugo est considéré par les Surréalistes comme l’un des leurs.
« Taches en forme de paysage » vers 1857
.
Joan Miro: « Femmes encerclées par un vol d’oiseaux » 1941 et « L’étoile matinale » 1940.
A.Giacometti: « table » 1933.
Marcel Jean: « armoire surréaliste ».
Max Ernst : « La femme 100 têtes » 1929.
Série de collages de revues du 19° siècle.
« La femme 100 têtes » de Max Ernst…
… Détails.
S.Dali: « Le téléphone aphrodisiaque » 1938.
René Magritte: « La durée poignardée » 1938.
Matta: « Xpace and the ego » 1945.
Eileen Agar: « Angel of Anarchy » 1936-1940.
Man Ray: « l’écriture automatique » vers 1938

L’écriture automatique et les « Cadavres exquis »: l’exploration littéraire.

  • Inspirée de la psychanalyse, et surtout de la poésie d’Arthur Rimbaud et de Lautréamont, l’écriture automatique consiste à écrire si rapidement que la raison et les idées préconçues n’ont pas le temps d’exercer leur contrôle. Le premier texte issu de cette méthode, Les Champs magnétiques de 1919, a été rédigé tour à tour par André Breton et Philippe Soupault:

« Prisonniers des gouttes d’eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels. Nous courons dans les villes sans bruits et les affiches enchantées ne nous touchent plus.
À quoi bon ces grands enthousiasmes fragiles, ces sauts de joie desséchés ? Nous ne savons plus rien que les astres morts ; nous regardons les visages ; et nous soupirons de plaisir. Notre bouche est plus sèche que les plages perdues ; nos yeux tournent sans but, sans espoir. Il n’y a plus que ces cafés où nous nous réunissons pour boire ces boissons fraîches, ces alcools délayés et les tables sont plus poisseuses que ces trottoirs où sont tombées nos ombres mortes de la veille. […] Lorsque les grands oiseaux prennent leur vol, ils partent sans un cri et le ciel strié ne résonne plus de leur appel. Ils passent au-dessus des lacs, des marais fertiles… »

  • Le « cadavre exquis » est un jeu d’écriture toujours actuellement pratiqué dans les ateliers d’écriture ou lors de cours de Français de collèges et lycées.
    Il s’agit de faire tourner une feuille de papier auprès de plusieurs personnes qui écriront les unes à la suite des autres, sur une consigne donnée : « un sujet », « un verbe », « un adjectif » etc. sans voir ce que la précédente personne a écrit, le papier étant plié avant de le passer à la suivante…
    Imaginons deux phrases de deux participant.es:
    – « L’oiseau s’envole lentement vers le ciel immaculé, en piaillant. »
    – « La chaise tombe avec fracas dans la poubelle, en tournoyant. »
    En appliquant le principe de ce jeu, on arrive à ces phrases là:

Le nom « Cadavre Exquis » fut inventé par André Breton, Marcel Duhamel, Jacques Prévert et Yves Tanguy quand, lors d’une partie de jeu, cette phrase émergea :
« Le cadavre exquis boira le vin nouveau. »
Le même système s’applique aussi en dessinant et un grand pan de mur lui est consacré sur l’exposition.

Cadavre exquis de : A.Breton, M.Duhamel, M.Morise, Y.Tanguy. 1928.

Les monstres politiques .

André Masson: « Portrait charge de Franco ». Vers 1938-1939.

Ce sixième chapitre de l’exposition souligne l’engagement politique des surréalistes.
Mépris de l’autorité, refus de l’ordre établi et des valeurs bourgeoises, éthique de la liberté, éloge du désir et des passions… Loin de se réduire à un mouvement littéraire et artistique, le surréalisme intègre une véritable dimension politique : attente révolutionnaire teintée d’éthique libertaire, espoir de « changer la vie » en édifiant une société plus inventive, libérée des chaînes de la morale et de la tradition. Une ambition qui a conduit ses principaux représentants à se rapprocher des partis politiques et à épouser, provisoirement ou durablement, les idéologies de leur temps troublé.

Aujourd’hui, ce chapitre de l’exposition résonne amèrement!

Didier Ottinger (commissaire de l’exposition) :
« Qu’il s’agisse du surréalisme ou de n’importe quel autre sujet, historique ou thématique, toute exposition, particulièrement au Centre Pompidou, n’a selon moi de sens que dès lors qu’elle est capable d’entrer en résonance avec l’art et avec les questionnements de l’époque.
Avec le surréalisme, on peut difficilement faire mieux !

Au fil de sa longue histoire (40 ans, rappelons-le), le surréalisme a toujours veillé à marcher sur deux jambes, à concilier le « changer la vie » de Rimbaud et le « transformer le monde » de Marx.
Dès sa fondation, le surréalisme a voulu agir dans le champ politique.
Il a dénoncé le colonialisme (en 1925 en condamnant la guerre du Rif, en 1931 lors de la grande exposition coloniale parisienne,lors des guerres d’Indochine, d’Algérie…), a combattu les totalitarismes (au moment de la montée des fascismes dans l’Europe des années trente, lors du « coup de Prague » de 1948, de l’insurrection de Budapest en 1956…). Les biennales internationales et la Documenta,
qui se transforment en forums ouverts aux questions politiques de l’heure, témoignent
de l’actualité d’un mouvement prompt à réagir à toutes les menaces pesant sur la liberté
et à toutes les atteintes à la dignité humaine.

Quelle actualité encore que celle d’un surréalisme qui, quelques années après sa fondation, essaime de Prague à Tokyo, de Londres au Caire, reliant les points d’une constellation seulement fédérée par un idéal d’émancipation. Actualité encore d’un mouvement qui, plus qu’aucun autre en son temps, s’est largement ouvert aux femmes.
Au-delà de ces caractères formels qui auguraient ce qu’est devenu l’«art contemporain», c’est par le modèle qu’il porte que le surréalisme s’affirme comme «remarquablement contemporain ».
Héritier du romantisme (allemand en particulier), le surréalisme n’a cessé de contester le culte voué par les sociétés modernes à la technique et au machinisme, de dénoncer l’obsession matérialiste et le consumérisme des sociétés « avancées » (la dernière des expositions surréalistes, « L’écart absolu », en 1965, place un « consommateur grotesque » au centre de ses salles).

En 1938, le poète Benjamin Péret rédigeait un texte que lui inspirait la photographie d’une locomotive abandonnée au cœur de la forêt amazonienne. Le titre de son texte, La nature dévore le progrès et le dépasse, résonne singulièrement, comme menace ou comme espoir, aux oreilles de nos contemporains… » (Extrait du dossier de Presse).

Premier acte de leur engagement politique, les surréalistes se rapprochent des jeunes communistes du groupe Clarté avec lesquels il signe en 1925 un manifeste opposé à la guerre coloniale menée par la France au Maroc.
Si chacun veille à rendre étanche la frontière entre création poétique et engagement politique, les tensions qui résultent de la montée des fascismes dans l’Europe des années trente incitent nombre d’artistes à reconsidérer cette imperméabilité.
Le surréalisme se peuple de monstres qui représentent la montée des totalitarismes.
Un an avant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, le mouvement se dote d’une nouvelle revue qui se donne comme emblème une figure bestiale : Le Minotaure.

Il est obligatoire de réserver un créneau horaire d’entrée en prenant votre billet.
Le musée est évacué 15mn avant sa fermeture, aussi prévoyez une tranche de deux heures au moins pour savourer toute la richesse de cette exposition.

Sortie de l’exposition « Surréalisme » à 21 heures…

Le Centre Georges Pompidou se trouve:

Place Georges-Pompidou
75004 Paris

Photos: (c) Sylvie Maugis et Kadia Rachedi.

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