« Le trompe-l’œil, de 1520 à nos jours ».
Cinq siècles nous séparent… Une exposition d’une très grande richesse et beaucoup d’émotion de découvrir ces artistes et leurs œuvres sur une si longue période …
« L’œil « trompé » croit voir autre chose que ce qui est ! »
Entre jeux d’ombre et de lumière, superpositions, couleurs, laissez-vous surprendre par l’illusion de relief des compositions, approchez-vous pour vérifier la réalité des objets et découvrir un art qui continue de jouer avec nos perceptions.
Pour son 90° anniversaire, le musée Marmottan Monet propose une exposition insolite qui retrace l’évolution de ce genre pictural qu’est le Trompe-l’œil, du XVIe siècle à nos jours, de son âge d’or à sa persistance au fil des époques, de son mépris par la critique au XIXe siècle, démenti par un public séduit prenant plaisir à tomber dans le piège du jeu de l’illusion, jusqu’à sa réappropriation encore trop peu méconnue par les artistes au XXe et au XXIe siècles.
La fin du parcours est dédié à l’art de « tromper l’ennemi » grâce à la section camouflage fondée au début de la Première guerre mondiale jusqu’aux évolutions techniques où la dissimulation devient un véritable enjeu de survie lors des conflits.
Plus de 80 œuvres sont réunies provenant de collections prestigieuses du monde entier, dont certaines sont rarement exposées, voir totalement inédites.
Le musée conserve sept toiles en trompe-l’œil acquises par ses fondateurs :
Jules Marmottan (1829–1883) avocat, maire et collectionneur, son fils Paul Marmottan (1856–1932), historien de l’art, collectionneur, mécène. À sa mort, il lègue sa collection, son hôtel particulier parisien et sa villa boulonnaise à l’Académie des Beaux-Arts qui en fait, respectivement, le musée Marmottan-Monet et la bibliothèque Marmottan. Ses dons à l’Assistance Publique permettent également la création de l’hôpital Marmottan (Centre de soins et d’accompagnement des pratiques addictives).
Le terme « Trompe-l’œil » aurait été employé pour la première fois par Louis Léopold Boilly (1761-1845) en légende d’une œuvre exposée au Salon de 1800, à Paris, au Palais du Louvre. Il ne sera adopté par l’Académie Française que trente-cinq ans plus tard.
Bien que le terme apparaisse au XIXe siècle, l’origine du Trompe-l’œil remonte à l’Antiquité : une légende veut qu’un peintre peignit si habilement des raisins que des oiseaux tentèrent de les picorer. Cette légende pose la question même liée à ce type de stratagème : « Peut-on vraiment leurrer un spectateur au moyen d’une peinture, forcément bidimensionnelle, au point de lui faire croire que ce qu’il voit est une réalité tridimensionnelle ? ».
Dès le XVI siècle, l’art du trompe-l’œil obéit à des règles précises : le tableau doit s’intégrer à l’environnement dans lequel il est présenté, requérant ainsi une mise en scène tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’œuvre. Il exige également que la représentation du sujet soit figurée grandeur nature, dans son intégralité sans être entravée par le cadre.
La signature de l’artiste, quant à elle, doit être dissimulée dans le tableau pour garantir l’illusion.
Au cours des siècles, le trompe-l’œil prend des formes différentes. La virtuosité et l’ingéniosité technique sont les principaux ressorts des recherches des artistes qui y mêlent une pointe de fantaisie voire d’humour assumée. L’exposition offre à voir une multitude de médiums, de la peinture à la sculpture, de l’architecture au dessin, de la photographie aux arts décoratifs dont la céramique, soulignant ainsi la manière dont cet art de la tromperie s’est diffusé dans les arts.
En fonction des époques, le Trompe-l’œil ne s’est pas construit suivant les mêmes codes, ne répond pas aux mêmes règles ni aux mêmes références. Ce genre aux dispositifs variés « est la seule catégorie d’œuvres d’art qui se définisse par référence à l’effet produit sur le spectateur ».
- L’ÂGE D’OR DU TROMPE-L’ŒIL :
À partir du début du XVIe siècle, la figuration illusionniste d’objets du quotidien se multiplie et séduit collectionneurs et amateurs. La « Nature-morte aux bouteilles et aux livres » (vers 1520-30) d’un artiste anonyme, constitue un exemple significatif d’une des plus anciennes natures mortes trompe-l’œil connues :
« Le XVIIe siècle voit aux Pays-Bas l’apogée de ces recherches menées par les artistes. Avec des moyens purement techniques et plastiques, la peinture à l’huile, la perspective, les effets de lumière, l’artiste ambitionne de rivaliser avec la réalité.
Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague conçoit pour les rois des trompe-l’œil dont la virtuosité inégalée élève ainsi le trompe-l’œil, un genre dit mineur, à un niveau de perfection et d’ingéniosité sans précédent. »
- DU XVIIe SIÈCLE AU XVIIIe SIÈCLE, DU TROPHÉE AU « QUODLIBET »
Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, dans la production des natures mortes illusionnistes, les trophées trouvent une place de choix dans les intérieurs aisés.
Parmi les portraits en trophées de chasse, gibiers et volatiles sont les plus prisés et sont souvent issues de commandes. Le roi Louis XV sollicite le pinceau de Jean-Baptiste Oudry, peintre du roi, pour immortaliser ses prouesses à la chasse à courre. L’artiste joint aux côtés des animaux un cartellino, petit papier froissé relatant le titre de l’œuvre et la date de la chasse. Au-delà de la mise en valeur de l’activité aristocratique, il s’agit de mettre en avant le nom du propriétaire et la maison où l’œuvre sera exposée
Le quodlibet, qui peut se traduire par « Ce qu’il vous plaît » met en scène un désordre savamment organisé. Il s’agit de quelques planches de sapin sur lesquelles des rubans ou des lanières sont clouées et entre lesquelles des lettres, des dessins, des gravures et des menus objets (bésicles, plumes, sceaux, etc.) sont retenus par des rubans. L’artiste y démontrait sa virtuosité et pouvait aussi apposer sa signature, la date de l’œuvre ou le nom de son commanditaire sur l’un des documents présentés sur ces portes-lettres. Au-delà de la technicité de ces compositions permettant de lire les documents imités, les artistes pouvaient y dissimuler, tel un rébus, certains messages plus ou moins explicites selon son destinataire et que le spectateur se plaît à reconstituer. Ces quolibets, avec le désordre des papiers froissés et déchirés, évoquent souvent une pensée moralisatrice, celle de la vanité du savoir, du temps qui passe et de la précarité des objets et de la vie.
- ÉPANOUISSEMENT AU XVIIIe SIÈCLE : PEINTURE ILLUSIONNISTE
« Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs artistes dont Gaspard Gresly, Étienne Moulineuf, Dominique Doncre et Louis Léopold Boilly s’attellent à peindre des éléments ou une composition entière en noir et blanc, en grisaille (…).
Ces peintres en font des grisailles extrêmement abouties à l’imitation de la gravure. Celle-ci peut être fixée à une planche de sapin brute sur laquelle une feuille gravée est épinglée et rend hommage à des maîtres de l’histoire de l’art comme le peintre hollandais Frans Hals (1580–1666) ou le graveur lorrain Jacques Callot (1592–1635) tandis que d’autres artistes mettent à profit leur maîtrise de cette technique pour faire ressortir les traits de leurs modèles ou copient d’œuvres de maîtres dont le Bénédicité de Chardin ce dont témoigne l’œuvre de Moulineuf ajoutant de manière habile la troisième dimension grâce au verre cassé feint. » Extraits du Dossier de Presse.
« Mais qu’est-ce que c’est que ce bazar ? Sur un guéridon en acajou de style Empire, quelqu’un semble s’être débarrassé du contenu de ses poches : pièces de monnaie, jeu de cartes, clous, canif, plume… À y regarder de plus près, il s’agit là d’un trompe-l’œil – une saisissante illusion d’optique créée par le pinceau minutieux d’un peintre virtuose, capable d’imiter à la perfection la réalité,
et donc de nous berner ! »
Cette œuvre du musée Marmottant Monet, restaurée récemment, offre à voir sous un verre feignant d’être brisé en plusieurs endroits, des documents savamment éparpillés. À ce désordre organisé, Laurent Dabos joint une dimension politique avec la présence des portraits de Bonaparte, alors Premier consul et de Charles IV, roi d’Espagne, symboles de l’alliance entre la France et la monarchie absolue espagnole contre la Grande-Bretagne qui aboutira à la signature du traité d’Amiens le 25 mars 1802.
- ARCHITECTURE ET TROMPE-L’ŒIL
« La peinture en trompe-l’œil peut également constituer un élément de décor architecturé, faisant partie intégrante des intérieurs d’une société aristocratique séduite. Le peintre Dominique Doncre, spécialiste du trompe-l’œil et de la grisaille, établi dès 1770, à Arras, où il effectue l’essentiel de sa carrière, est l’un des artistes les plus représentatifs dans ce domaine. Paul Marmottan a écrit et collectionné les œuvres de cet artiste dont nous exposons ici certaines peintures provenant du musée des Beaux-Arts d’Arras dont une issue de la collection de Paul Marmottan. Ainsi, des dessus-de-porte, des devants de cheminées et des médaillons ornèrent de ses scènes d’enfants jouant certains des plus prestigieux hôtels particuliers de la ville d’Arras. »
Extrait du Dossier de Presse.
Anne Vallayer-Coster, première femme admise à l’Académie des Beaux-Arts à l’âge de 26 ans a été peintre à la cour de Marie-Antoinette. Elle est décrite comme ayant une grande maitrise de l’art de l’illusion.
« Si, pour ce bas-relief antique, le spectateur averti se doute que c’est une peinture, il est fort probable qu’il va se laisser prendre au piège du cadre feint ».
- ARTS DÉCORATIFS : LA CÉRAMIQUE
Au XVIIIe siècle, la volonté de créer l’illusion s’étend à la production de la céramique en trompe-l’œil au service d’objets utilitaires où il s’agit davantage d’une évocation que d’une réelle duperie. Elle prend son origine à la Renaissance en Italie. Au XVIIIe siècle, des thématiques nouvelles émergent au gré des nouvelles techniques apparaissant, dont la porcelaine dure.
Soupières en forme de choux, de salades, de courges, assiettes garnies d’olives et autres fruits et légumes ou terrines de forme animalière décorent les tables d’apparat aux côtés de plats aux formes plus conventionnelles, source de confusion pour les convives.
La tradition du trompe-l’œil dans les arts décoratifs se renouvelle au XXe siècle avec des décors peints à la surface des objets à la manière d’une peinture illusionniste.
Dès la seconde partie du XVIII° siècle, la Manufacture Hannong de Strasbourg s’inspire des productions allemandes. Elle fait venir de talentueux artisans qui élaborent des objets qui témoignent des talents de technicité de ces artisans capables de recréer des formes complexes et les couleurs délicates de la matière végétale.
- LES TROMPE-L’ŒIL CONTEMPORAINS – LE GROUPE « TROMPE-L’ŒIL/RÉALITÉ«
Un intérêt renouvelé pour le genre du trompe-l’œil apparaît chez les artistes et le public après-guerre. En 1960, au Salon Comparaisons, le groupe des « peintres de la réalité », créé par Henri Cadiou, expose des trompe-l’œil. Jacques Poirier et Pierre Ducordeau se rallient à l’artiste pour fonder ensuite le groupe « Trompe-l’œil / Réalité ». En 1993, ils exposent au Grand Palais lors de la manifestation sur « le Triomphe du trompe- l’œil » suscitant l’intérêt de milliers de visiteurs.
Ces artistes utilisent non sans humour ce genre et en font un support de contestation face à l’art contemporain, comme le peintre Pierre Ducordeau avec son imitation de l’œuvre de l’un des grands maîtres de l’art de son temps comme Lucio Fontana.
(Lucio Fontana: article du 06/07/2024 dans l’Art d’être Curieux)
- LES TROMPE-L’ŒIL CONTEMPORAINS – LES ILLUSIONNISTES DE LA RÉALITÉ
L’arte Povera est un mouvement d’avant-garde apparu en Italie dans les années 1960, dont fait partie Michelangelo Pistoletto. Après avoir fait l’expérience de ses autoportraits, il réalise la série des Tableaux-miroirs qui nous invite à converser avec Anselmo, Zorio, Penone, les trois artistes du mouvement Arte Povera. La technique du polissage de l’acier inoxydable permet d’obtenir une surface réfléchissante sans l’épaisseur d’un miroir traditionnel. Grâce à ce médium il souhaite démontrer que le monde de l’image est ainsi scindé en deux : le monde de l’image spéculaire, objective et le monde de l’image reproduite.
- TROMPER L’ADVERSAIRE : L’ART DU CAMOUFLAGE
Un an après le début de la Première Guerre mondiale, en août 1915, la section Camouflage est créée. Des artistes et des décorateurs de théâtres spécialistes œuvrent pour développer des dispositifs stratégiques homologués par les généraux pour protéger les hommes et améliorer la défense et les attaques de tous les corps d’armées. Cette nouvelle arme qu’est le camouflage va au fil des conflits du XXe et du XXIe siècle se perfectionner pour que le soldat ne fasse plus qu’un avec son environnement. Les photographies contemporaines de Daniel Camus et de Lisa Sartorio en proposent une vision mêlant réalisme et esthétisme.
C’est la dernière salle de l’exposition, beaucoup plus éclairée que toutes celles que nous avons parcourues jusqu’alors…
Ici, il n’est plus question de jeu, mais d’enjeu de survie lors des conflits. C’est la réalité qui nous rattrape et qui, là, nous fait violence… Malheureusement !
« La Sagna et Racine scénographes »
Formés à l’architecture, Clémence La Sagna et Achille Racine revendiquent une pratique entre architecture et scénographie. De l’univers des scénographies de théâtre qui les inspirent, ils ont repris le médium principal : la maquette au 1/33 qui leur permet de concevoir des scénographies plongeant les visiteurs dans un univers narratif à l’atmosphère puissante, mais aussi l’envie d’intégrer dans les projets muséographiques des compétences issues de la « scène » comme celle de peintre en décor…
À noter qu’iels ont conçu la scénographie de l’exposition « Max Jacob » à Céret (Pyrénées Orientales)
à retrouver dans « L’Art d’être Curieux » du 15/09/2024
Le Musée Marmottan Monet se trouve 2, rue Louis Boilly – Paris 16°