Dans les coulisses des Olympiades…
Les soubresauts du monde
Avec près de 600 œuvres, documents, films d’archives, objets, articles de presse et photographies, l’exposition « OLYMPISME, UNE HISTOIRE DU MONDE 1896-2024 », présentée au Palais de la Porte Dorée à Paris jusqu’au 8 Septembre, fait dialoguer événements historiques, figures sportives et grands témoins de l’histoire.
L’exposition plonge le public dans les coulisses de chacune des 33 olympiades, d’Athènes en 1896 à Paris en 2024, incluant celles qui ont été annulées (1916, 1940, 1944).
Cent trente ans d’évolutions géopolitiques, politiques, sociales et culturelles depuis la création des Jeux Olympiques modernes, à travers les exploits des plus grands champions et championnes olympiques.
« Le parti pris des commissaires est de raconter, « autrement », l’histoire des Jeux Olympiques : celle des luttes pour l’égalité menées par les femmes et les minorités mais aussi des conflits géopolitiques, à l’image de la puissance des dictatures face aux démocraties durant l’entre-deux-guerres, de la guerre froide, des décolonisations, jusqu’à notre monde multipolaire. C’est une histoire à l’échelle humaine qui, au travers de l’engagement de sportives et de sportifs, prend une forme concrète et incarnée. Nous parlons de sport, d’exploits, mais aussi d’engagements et de symboles qui sont restés dans l’histoire. Tous ces combats et, en premier lieu, les luttes pour les libertés fondamentales, la démocratie, l’égalité raciale et de genre, sont au cœur de l’exposition et de son catalogue ». (Extraits du dossier presse)
1896 – 1920 : La renaissance de l’olympisme : Les jeux olympiques modernes
« Pierre de Coubertin (1863 – 1937) est à l’origine de la renaissance des Jeux Olympiques antiques et de la création du Comité International Olympique (CIO), fondé le 23 juin 1984. L’objectif du CIO est de promouvoir l’éducation physique de la jeunesse et un universalisme sportif au service de la paix.
Le choix originel de l’amateurisme traduit l’élitisme d’une aristocratie à l’origine du projet et limite la participation des athlètes issus des classes populaires. » (Extrait du dossier de presse)
Les trois éditions qui suivent les premiers Jeux Olympiques Modernes d’Athènes en 1896, (Paris en 1900, St Louis aux États Unis en 1904 et Londres en 1908) sont diluées dans le programme de grandes expositions universelles ou internationales, ce qui va générer quelques confusions dans l’esprit des sportifs qui ne réalisent pas qu’ils participent à une compétition sportive.
1900 : Paris
Les Jeux Olympiques se déroulent dans le cadre de l’Exposition Universelle. Les organisateurs ont étalé les compétitions sur près de cinq mois, tout en minimisant le statut olympique des compétitions, à tel point que de nombreux athlètes n’ont jamais vraiment su qu’ils avaient réellement participé aux Jeux Olympiques!
Ces Jeux permettent toutefois d’assister aux premières compétitions exclusivement féminines (tennis, golf, voile, croquet et sports équestres) en dépit des préventions du baron de Coubertin pour qui les femmes n’avaient pas leur place dans ces Jeux.
Dans un texte datant de 1912, nommé «Les femmes aux Jeux olympiques», Pierre de Coubertin affirmait, entre autres déclarations: «impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter: incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine».
Il persiste en 1928 : «Quant à la participation des femmes aux Jeux, j’y demeure hostile. C’est contre mon gré qu’elles ont été admises à un nombre grandissant d’épreuves». Puis, en 1935, il aurait ajouté que «le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel […]. Aux JO, [le rôle des femmes] devrait surtout [être], comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs».
Le 11 juillet 1900, la joueuse de tennis britannique, Charlotte Cooper, devient la première championne olympique. Par contre, l’affiche de promotion des concours d’escrime est trompeuse car la discipline, comme bien d’autres, demeure exclusivement masculine.
Peu à peu, les comités d’organisation successifs posent les jalons d’un projet olympique universaliste qui exclut les femmes puis limite leur participation à certaines épreuves.
Une rameuse et nageuse française, Alice Milliat (1888-1957), pionnière du sport féminin de haut niveau, « infatigable militante de l’égalité dans le sport » va lutter contre cette discrimination pour imposer les premières olympiades féminines en 1922.
Présidente du club Fémina sport en 1915, elle est présidente et cofondatrice de la Fédération des sociétés féminines et sportives de France en 1919, puis fondatrice et présidente de la Fédération sportive féminine internationale en 1921. Elle milite pour la participation des femmes aux Jeux olympiques. « Devant le refus du CIO, présidé par le baron Pierre de Coubertin, elle décide d’organiser des compétitions féminines, nationales puis internationales ».
En 1922, la première édition des Jeux mondiaux féminins a lieu à Paris, deux ans avant les Jeux olympiques de Paris.
Quatre éditions auront lieu entre 1922 et 1934, puis ces Jeux olympiques sont passés à la trappe… Oubliés dans l’histoire… Ou presque… Ces premières olympiades n’ont d’ailleurs pas de numéro.
« Le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin. Il devrait même passer au premier plan des préoccupations du gouvernement ; je n’exagère pas ». En prononçant ces mots en 1917, Alice Milliat était clairement en avance sur son temps.
Au début du XXe siècle, elle a activement milité au niveau national et international pour que les femmes exercent tous les sports. Si aujourd’hui, chacune dans leur discipline, des championnes peuvent prétendre participer au JO 2024, c’est en grande partie grâce à Alice Milliat :
En 1928, la participation des femmes atteignait près de 10%. La liste des compétitions où les femmes ont été admises n’a cessé de s’accroître, jusqu’aux Jeux de Rio (au golf, sport réintroduit, et au rugby). Maintenant, «le principe de l’égalité des sexes est inscrit dans la Charte olympique, laquelle impose au CIO d’encourager et de soutenir la promotion des femmes dans le sport à tous les niveaux”», peut-on lire sur le site du Comité International Olympique.
Les jeux de Saint-Louis aux Etats-Unis en 1904:
Ces jeux sont le premier exemple manifeste du caractère politique, raciste, esclavagiste de la gouvernance d’un pays, que l’on retrouvera dans bien d’autres Jeux Olympiques, avec les réactions d’athlètes et leurs prises de position au cours du déroulement des jeux.
À Saint-Louis, les organisateurs reproduisent la même erreur que pour les Jeux de Paris en associant les Jeux à l’Exposition Universelle qui célèbre le centenaire de l’achat de la Louisiane par les États-Unis. Au cours de cette exposition, sont organisées des « journées anthropologiques » qui visent à démontrer la supériorité de la « race blanche » sur les prétendus « peuples sauvages ».
Sans entrainement, pour des épreuves dont ils ignorent les règles, les « Indigènes » exhibés dans le cadre de l’Exposition Universelle établissent de faibles performances. Le jeune Pygmée Mbuti Ota Benga, kidnappé en 1904 au Congo, est l’un d’eux. Il est à nouveau exhibé au zoo de New York aux Jeux intercalaires de 1906 (organisés par la Grèce pour célébrer les 10 ans de la rénovation des Jeux olympiques). Il se suicide en 1916, ayant perdu tout espoir de retour chez lui.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale provoque l’annulation des jeux de 1916 prévus à Berlin. Le rêve de Pierre de Coubertin d’une compétition capable de dépasser les conflits semble alors s’effondrer.
1920-1945: le temps des nationalismes
Le bilan tragique de la Grande Guerre encourage le CIO à poursuivre son œuvre pacifiste.
Les symboles olympiques vont faire leur apparition à ce moment-là.
En 1920, à Anvers, l’introduction du drapeau et du serment olympiques symbolise la concorde des nations (néanmoins, tous les vaincus de la guerre en sont exclus).
Les jeux d’Amsterdam (1928) voient, pour la première fois, l’allumage de la flamme olympique.
« Les JO et les symboles olympiques le drapeau, le serment, le salut »
Extraits de l’émission « Secrets d’histoire » . France Inter 1er juillet 2024,
avec deux des commissaires de l’exposition,
les historien.nes Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire:
À Paris en 1924 et Amsterdam en 1928, l’Allemagne sera absente. Les jeux sont le théâtre d’exploits sportifs réalisés par des athlètes de tous horizons, notamment issus des «minorités» ou des empires coloniaux. L’avènement des premières stars médiatiques ébranle le principe de l’amateurisme toujours fermement défendu par le CIO.
En 1932, en pleine crise économique, les Jeux de Los Angeles sont marqués par les victoires des athlètes italiens érigés en ambassadeurs du régime fasciste.
Quatre ans plus tard, la politisation de l’événement franchit un cap lors des Jeux de Berlin, au service de la propagande nazie. Malgré l’exclusion des athlètes juifs allemands au mépris des valeurs fondamentales de l’olympisme, l’organisation et la modernité affichée des Jeux de Berlin apparaissent comme autant de succès pour Adolf Hitler.
La Seconde Guerre mondiale empêche la tenue des éditions de 1940 et 1944.
Anvers 1920 : Les Jeux olympiques de 1916 sont annulés en raison de la Première Guerre mondiale et, après l’armistice de 1918, ceux de 1920 sont attribués à la ville flamande le 5 avril 1919 en hommage à la souffrance et à la bravoure des Belges pendant la guerre.
Vaincus et considérés comme responsables de la guerre, les Empires centraux et leurs successeurs (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Empire ottoman et Hongrie) ne sont pas invités aux Jeux.
La participation atteint tout de même un record de 29 nations et 2 626 athlètes (dont 65 femmes). Six délégations font leurs débuts aux Jeux olympiques : le Brésil, l’Estonie, Monaco, la Nouvelle-Zélande, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie.
« Les J-O d’Anvers »
Extraits de l’émission « Secrets d’histoire » . France Inter 1er juillet 2024,
avec deux des commissaires de l’exposition,
les historien.nes Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire:
Paris 1924 :
Les athlètes sont hébergés dans le premier village olympique de l’histoire des jeux.
« PARIS 1924 »
Extraits de l’émission « Secrets d’histoire » . France Inter 1er juillet 2024,
avec deux des commissaires de l’exposition,
les historien.nes Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire:
Il est important de noter que c’est la ville de Berlin qui avait été choisie pour les Jeux Olympiques de 1924. La guerre en a décidé autrement et, malgré l’avis du Président du CIO, le baron de Coubertin, qui voulait faire des Jeux un lieu de la réconciliation franco-allemande, c’est Paris qui a été choisie.
En 1928, les Jeux se déroulent à Amsterdam et, comme nous l’avons évoqué, c’est dans cette ville que la flamme olympique sera allumée pour la première fois.
En 1931, Berlin se voit attribuer l’organisation des Jeux olympiques de 1936. L’Allemagne est alors gouvernée par la République de Weimar, nom donné par les historiens au régime politique en place depuis 1918. En janvier 1933, changement de régime: Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich et il reçoit les pleins pouvoirs en mars de la même année, instaurant une dictature totalitaire, impérialiste, antisémite, raciste…
« Les Jeux olympiques de Berlin, 1936. Qu’en pensait P. de Coubertin ? »
Extraits de l’émission « Secrets d’histoire » . France Inter 1er juillet 2024,
avec deux des commissaires de l’exposition,
les historien.nes Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire:«
1948-1990 Des athlètes au coeur de l’Histoire
(Pas de jeux olympiques en 1940 et 1944 pendant la seconde guerre mondiale).
Bien des péripéties et conflits géopolitiques et géostratégiques ont ébranlé l’organisation des 30 Olympiades d’été successives. Et si l’apolitisme fut l’un des principes de base des JO, les conflits (mondiaux à deux reprises), les gouvernements autoritaires ou dictatoriaux, les régimes racistes et d’apartheid de certaines nations, ont fait surgir des mouvements spectaculaires de rejet jusqu’à la fin du XXe siècle, qu’ils viennent du Comité Olympique international et, le plus souvent, des nations elles-mêmes.
L’esprit de compétition de l’olympisme sera assez vite envahi par les sentiments nationalistes et idéologiques portés par les États, et chaque Olympiade aura ses figures marquantes.
Tout au long du parcours, « Olympisme une histoire du monde » convoque des images mémorables, des archives exceptionnelles et des portraits d’athlètes aux destins incroyables.
Après avoir évoqué Jesse Owens qui, lors des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, remporte quatre médailles d’or et piétine les thèses racistes du régime nazi, nous allons maintenant parcourir d’autres olympiades et vous présenter quelques unes des figures d’athlètes impliqué.es qui ont marqué certaines olympiades :
– Melbourne 1956 : le 4 novembre 1956 les chars soviétiques envahissent Budapest pour mettre fin à l’insurrection hongroise et réprimer dans le sang cette révolte à la fois populaire et nationale.
Quelques jours plus tard débutent les Jeux Olympiques d’été à Melbourne en Australie.
Le match de water-polo opposant la Hongrie à l’URSS, apparaît alors pour les hongrois comme une revanche par le sport sur la géopolitique. La rencontre va se terminer par une bagarre générale dans une piscine rougie par le sang!
– Mexico 1968 : à l’issue du 200 mètres masculin, dans un geste spectaculaire, poing levé ganté de noir, tête baissée, Tommy Smith et John Carlos, médaillés d’or et de bronze, montreront au monde entier leur colère et leur rébellion contre l’injustice raciale des USA.
– Munich 1972 : la politique internationale s’invitera aussi tragiquement à Munich, qui voit ses Jeux ensanglantés par une prise d’otages dramatique dont furent victimes les athlètes israéliens aux mains de ravisseurs de l’Organisation de Libération de la Palestine.
Les années 50 et 60 verront l’arrivée de pays africains issus de la décolonisation. Le CIO servira ainsi de tremplin à ces mouvements de libération nationale. De la chute du mur de Berlin émergeront également des nations sorties de l’orbite soviétique qui viendront grossir les rangs des compétiteurs. Sidney mettra en valeur, pour les Jeux du millénaire, le peuple premier de la terre australienne, les Aborigènes, dont une représentante, Cathy Freeman, gagnera la médaille d’or du 400 mètres.
Barcelone 1992 verra enfin les Jeux de la détente internationale!
Comment oublier le triomphe des tours de stade de Derartu Tulu et Elana Meyer à Barcelone en 1992, symboles fort de fraternité ? A l’échelle de la France, on retiendra Laura Flessel et Marie-Josée Pérec.
L’olympisme, heureusement, ne vivra pas que des drames et des tensions. Il offrira de superbes et fréquents moments d’union et de paix entre les peuples, conformément à sa vocation.
Rome en 1960, loin du second conflit mondial, réintégrera opportunément les femmes dans les compétitions, disparues depuis les Jeux d’Amsterdam, et introduira les premiers Jeux Paralympiques après plus de soixante ans d’ignorance.
En 2024 à Paris les Jeux Olympiques et Paralympiques sont rassemblés sous les mêmes emblèmes. Le modèle olympique devient alors une voie d’affirmation sociale pour les personnes en situation de handicap. Conformément aux termes du chapitre 1 de la Charte olympique.
Une exposition dédiée est organisée au Panthéon jusqu’en septembre: » Histoires paralympiques: de l’intégration sportive à l’inclusion sociale »
QUEL FUTUR POUR LES JEUX ?
L’exposition « Olympisme, une histoire du monde » dépasse le temps présent.
Comment penser des Jeux plus démocratiques ? Plus ouverts ? Plus respectueux de l’environnement ? Par exemple, c’est dans le cadre des JO à Londres en 2012 que se posent les premières questions d’éco-responsabilité pour continuer à faire face aux défis environnementaux.
L’exposition et son catalogue traitent aussi de la démesure des Jeux que ce soit à Athènes en 2004 après la crise financière ou en 2014 à Sotchi en Russie et abordent aussi la question de la politisation des Jeux Olympiques par des régimes non-démocratiques, de Mexico en 1968 jusqu’à Pékin en 2008. « S’attacher aux Jeux Olympiques et leur histoire, c’est découvrir que les stades sont des arènes où se jouent, sous les yeux du monde entier, le futur de nos sociétés.
À travers l’exposition, sa programmation et ses ateliers de médiation, le public est invité à questionner et imaginer le futur des jeux : intégration de nouveaux sports, redéfinition des catégories d’athlètes, nouvelles infrastructures éco-responsables… » (Extrait du dossier de presse)
Et, pour clore cet article, l’affiche des Jeux de Paris 2024 qui a été fortement décriée … 🙂
Nous vous invitons à écouter l’émission « DÉBAT DU JOUR » sur RFI ( Radio France Internationale),
animée par Adrien DELGRANGE
« Sport: Parité n’est pas égalité »:
293 Avenue Daumesnil 75012 PARIS