« Janine Niépce, regard sur les femmes et le travail »
Dans le cadre de sa saison culturelle (septembre – décembre 2024) consacrée au travail, la Cité de l’Économie Citéco, explore l’évolution de la place des femmes dans le monde du travail à travers le regard de la photographe Janine Niépce.
Chaque exposition nous réserve une part d’inattendu qui va résider sur le choix des œuvres, la scénographie ou tout autre objet…
Ici, notre premier regard se pose sur l’architecture et l’histoire du bâtiment qui abrite La Cité de l’Économie « Citeco »
À CITÉCO l’espace de l’exposition est entouré de cloisons en bois, comme dans un écrin, au centre du hall Defrasse, un très vaste espace qui accueille une grande partie de l’exposition permanente.
La magie opère quand on se retrouve devant ces scènes de vies de femmes et que l’on se laisse embarquer pour suivre leurs trajectoires.
« … La seconde moitié du XXe siècle a été capitale pour l’intégration des femmes dans la vie active. Cette évolution a eu des répercussions aussi bien dans la sphère publique que dans les foyers.
Janine Nièpce, a su documenter avec une rare authenticité les grandes manifestations ainsi que les scènes du quotidien qui ont marqué les transformations de cette époque ». (Extrait du Dossier Presse)
Janine Niépce (1921 – 2007) est une parente éloignée de Nicéphore Niépce (1765 – 1833) l’inventeur du premier procédé photographique ou héliographie.
Elle étudie l’histoire de l’art et l’archéologie. En parallèle de ses années à la Sorbonne et pendant l’Occupation nazie, elle prend des cours de photographie par correspondance, s’engage dans la Résistance et développe des films pour les réseaux de renseignements, puis participe à la Libération de Paris en qualité d’agent de liaison.
Diplômée en 1944, elle devient en 1946 l’une des premières femmes photo-reporter et elle reste, à ce jour, la seule photographe qui témoigna pendant un demi-siècle de l’évolution des femmes et de leur histoire.
Son regard sur le travail des femmes des années 1950 à 1990 ouvre un autre regard sur l’émancipation féminine, elle en documente l’avant, le pendant et l’après, appareil photo « Leica » à la main.
De l’invisibilité du travail domestique dans la sphère privée à la visibilité des femmes au travail dans la sphère publique :
Jusque dans les années 1950 – 1960, la majorité des femmes exerce leurs activités à la maison.
On les appelle « femme et/ou mère au foyer ». Elles sont, à la fois, femme de ménage, cuisinière, intendante, soignante, mère attentive, épouse docile et dévouée…
Dans le monde rural, à toutes ces taches s’ajoutent les travaux les champs, les soins aux animaux…
Leur travail est « invisibilisé » et non rémunéré. D’ailleurs, dans les travaux des statisticiens, leur travail n’existe pas. Les femmes au foyer sont considérées comme « inactives ».
Qu’elles vivent en ville ou à la campagne, en portant son regard sur ces femmes, Janine Niépce révèle leur statut de travailleuses à part entière, sans oublier celles qui sont dans le commerce.
… Et les ouvrières qui travaillent à l’usine.
Le salaire de celles qui travaillent à l’extérieur amène un complément de revenus dans le foyer mais, pour elles, c’est la double journée. Elles doivent s’organiser entre l’usine et le travail domestique. En 2024, cette « double journée » pour les femmes est toujours d’actualité même si les contextes sociétaux ont fait un peu changer les choses.
À la fin des années 1960, la nature du travail des femmes évolue. Les luttes féministes ont accompagné des changements sociaux fondamentaux, telles la légalisation de la contraception avec la Loi Neuwirth en 1967, l’Interruption Volontaire de Grossesse avec la Loi Veil en 1975…
Autant d’événements majeurs que Janine Niépce a suivi entre 1965 et 1980.
Suite à ces grandes luttes féministes et à l’évolution des mœurs, de plus grandes possibilités de carrières s’ouvrent pour les femmes.
Janine Niépce immortalise également les femmes qui travaillent dans les métiers du soin, institutrices, sages-femmes, infirmières… Ces professions essentielles à la société, majoritairement occupées par des femmes, et encore mal rémunérées de nos jours.
L’évolution passe aussi par des codes et des comportements masculins que les femmes s’approprient, ce qui commence à les rendre visibles dans l’espace public. C’est un regard nouveau sur les femmes et la photo-reporter s’intéresse à leur vie professionnelle qui, bien que restreinte, ne se limite plus au foyer.
Les femmes se font peu à peu une place sur les chantiers ou au sein de filières scientifiques ou juridiques jusque-là réservées aux hommes.
Janine Niépce a aussi immortalisé des femmes remarquables qui ont joué un rôle important pour soutenir les luttes des femmes pour leurs droits :
L’ordonnance du 21 avril 1944 (Journal Officiel) du Gouvernement provisoire de la République Française installé à Alger, accorde le droit de vote et l’éligibilité aux femmes. Les femmes voteront pour la première fois le 21 avril 1945 pour les élections municipales.
« Quand j’ai voté en 1945, je suis vraiment devenue adulte. C’était la première fois, les femmes pouvaient mettre leur bulletin dans les urnes en France. Olympe de Gouges n’était pas morte inutilement, guillotinée, pour avoir réclamé ce droit aux révolutionnaires en 1793. Par tradition, les hommes de ma famille revêtaient leurs habits du dimanche pour remplir ce devoir civique. Ils votaient la tête découverte, le chapeau à la main. J’avais mis ma plus belle robe. Mes tantes ont refusé de me confier leur choix, m’expliquant : « Tu devrais savoir qu’on ne révèle ni son salaire, ni ses opinions politiques, cela peut nuire. ». Réserve qui fait sourire les Américains.
Dans les bureaux, des jeunes femmes photographiées et interviewées me laissaient perplexe : prendre des responsabilités politiques leur semblait incompatible avec une vie de travail et leurs obligations familiales. Par ailleurs, en tant que citoyennes, elles auraient aimé inventer avec les hommes de nouvelles façons de penser et d’agir. »
(« Janine NIEPCE par elle-même » : postface du livre « France 1947-1992 » préfacé par Marguerite Duras)
Avant de quitter l’exposition, écoutons deux jeunes filles d’un lycée parisien, venues à Citéco avec leur classe et leur professeur:
L’exposition « Janine Niépce, regard sur les femmes et le travail » est installée à
CITÉCO – La Cité de l’Économie
Place du Général-Catroux, 75017
Jusqu’au 5 janvier 2025
Et pour faire écho à cette très belle exposition, il faut voir aussi le bouleversant film italien
« Il reste encore demain » (« C’è ancora domani ») de Paola Cortellesi…