HISTOIRES MÊLÉES …

… D’un côté, l’histoire de l’industrialisation, qui engendre celle de l’éxode rural qui ouvre sur l’histoire de l’urbanisation, et qui voit l’émergence d’une classe bourgeoise qui fournit le matériel pour produire et d’une classe ouvrière qui fournit le travail. 
… De l’autre, des histoires de vie. Celles de la population venue pour travailler dans les usines et qui va être déplacée dans les banlieues, ces lieux tant décriés ! 

« BANLIEUES CHÉRIES, L’EXPO QUI RECADRE LES CLICHÉS« 
proposée par le Musée de l’Histoire de l’Immigration – Palais de la Porte Dorée

Une exposition singulière en forme d’œil creusé dans le béton. Au visiteur maintenant d’y plonger le sien ».  (Dossier de presse – Extraits de l’éditorial de la Directrice générale du Palais de la Porte Dorée). 

Si l’idée de l’exposition est née du constat que les banlieues, malgré leur poids dans la société française, restent trop souvent sous-représentées et mal comprises, son objectif est d’aller au-delà des stéréotypes, des perceptions négatives et réductrices, en revisitant l’histoire et l’actualité sous un prisme à la fois social, culturel et artistique. Insaisissable, le terme « banlieue » désigne une réalité toujours mouvante, en construction et en rénovation permanentes depuis le XIXe siècle. 

ÉCOUTONS CHLOÉ DUPONT,
Chargée des expositions au Musée National de l’immigration :

L’exposition nous invite à déconstruire les idées reçues, les préjugés, pour porter le regard sur celles et ceux qui ont vécu, qui vivent et qui vivront dans les banlieues en allant au delà de ce qui nous est donné à voir.

  • Banlieues douces pour quelques un.es : 
    La banlieue, un patrimoine naturel ou boisé qui attira les peintres impressionnistes, les guinguettes dans lesquelles dans les urbains venaient se prélasser.
Claude Monet : « Le bassin d’Argenteuil » 1872
Théophile Alexandre Steinlen : « Bal de barrière » 1898. 
  • Banlieues amères pour beaucoup d’autres :

Le mot « banlieue », installé depuis le Moyen Âge dans la langue française, ne prend véritablement son sens géographique de périphérie urbaine qu’au XVIIIe siècle. À partir de là, ce mot se charge progressivement de toutes sortes de connotations sociopolitiques. 
La banlieue est l’espace situé à une lieue du centre ville (4km environ) où se trouvent les gens mis au ban de la société !
Au XIX° siècle, les banlieues vont se développer. Avec la « loi sur l’extension des limites de Paris » votée sous le second empire, en 1859, la capitale passe de 12 à 20 arrondissements.

Charles Vernier : « La ville de Paris cherchant à englober la banlieue »
Charles Vernier : « La bonne ville de Paris et ses nouveaux enfants »

Les banlieues d’aujourd’hui naissent de l’expansion des grandes villes comme Paris et les métropoles françaises. À la fin du XIXe siècle, le modèle urbain d’Haussmann considère la banlieue comme un espace à « coloniser », selon les journaux de l’époque. Ces espaces libres étaient destinés à accueillir ce dont la ville ne voulait pas : entrepôts, grandes usines, cimetières, hôpitaux, prisons, terres d’épandage, logements sociaux. 

  • Des lieux  de relégation : la zone, les bidonvilles, les cités de transits…

La « Zone » est un espace qui ceinture Paris, « cette zone sinistre et boueuse qui se situe entre les rues qui finissent et l’herbe qui commence (Émile Zola)». La Zone tient son nom de la zone de tir de canon, bande de terre située au-devant des fortifications de Paris construites au début des années 1840.
Il était alors interdit de construire sur cet espace, appelé « glacis militaire », même après l’abandon de son usage militaire en 1871. Peu à peu, une population urbaine pauvre, délogée de Paris par la hausse des loyers sous le Second Empire, y rejoint des paysans chassés par l’exode rural. Ils y construisent des habitats de fortune. Ces habitants surnommés « zoniers », puis « zonards » de façon péjorative, deviennent pour beaucoup le symbole de la pauvreté et de la précarité urbaine. Malgré de nombreux projets visant à transformer cet espace en « ceinture verte », les deux guerres mondiales empêchent leur réalisation. La Zone a fini par disparaître pour faire place à une nouvelle séparation entre Paris et ses banlieues : le boulevard périphérique. 


 « Zoniers, Porte d’Italie » – Eugène Atget
  • Des bidonvilles aux « Grands ensembles » en passant par les cités de transit :

Les banlieues françaises et les logements collectifs qui y fleurissent à partir de la première moitié du XXe siècle ont d’abord accueilli le prolétariat urbain, puis l’exode rural, la main-d’œuvre issue des colonies françaises, appelée par des patrons pour venir travailler dans les usines et, l’immigration internationale. La très grande majorité d’entre eux sont sans qualification. Ils occupent des postes de manœuvres et d’ouvriers « non qualifiés » et, mal payés, ils vont vivre près de leur travail, certains en famille avec femmes et enfants, dans des conditions d’hébergements indignes.

Les bidonvilles : des abris de fortune. Au sens strict, le bidonville est fait de matériaux récupérés : bidons, tôles, caisses, planches, cartons goudronnés et vieilles bâches en plastique. Dans de nombreux cas, les bidonvilles se sont développés sans plan et sans aucune infrastructure, mais il arrive néanmoins qu’il y ait un plan régulier et que les autorités locales aient installé quelques points d’eau et quelques lampadaires. Faute d’égouts, l’hygiène est partout un problème sérieux. 
À Nanterre, dans l’ouest parisien, plus de 10 000 habitants ont vécu dans des bidonvilles construits à la hâte à partir des années 1950. 
Les bidonvilles en France ont été progressivement supprimés dans la deuxième moitié des années 1970. Jusqu’à cette date, les bidonvilles restent  le symbole  de la relégation des étrangers dans ces ghettos insalubres.

Paul Almasy : « Bidonville de Champigny s/Marne » 1963.
  • Les cités de transit : 

Au départ les cités de transit sont des expériences dispersées. Ce n’est qu’après plusieurs années qu’elles ont fini par former une politique à peu près cohérente dont le but était, à la fin des années 60, de mettre un terme au « scandale des bidonvilles ».
La genèse des cités de transit renvoie à la volonté de transformation sociale par l’habitat.
Dans le contexte de profonde crise du logement des années 1950, les cités de transit furent adoptées comme solution au relogement notamment des familles algériennes qui vivaient dans des bidonvilles.
La genèse de ce dispositif, à la croisée d’un héritage colonial, d’une histoire longue de l’éducation par le logement et de la guerre d’Algérie, explique sa stigmatisation durable.

« Groupe de rééducation sociale », « logement tiroir », « cités de relogement », « habitat-prison », « dispositif d’assistance », « habitat-dépotoir », « cités promotionnelles » sont autant de termes utilisés pour désigner les cités de transit. Ces qualificatifs contradictoires sont révélateurs de l’ambiguïté des objectifs de ce dispositif.
L’idée d’action socio-éducative, son caractère temporaire et les normes réduites du bâti donnent à la formule des cités de transit une cohérence toute relative. Celle-ci est encore soulignée par l’absence d’unité architecturale des constructions : immeubles « en dur » de trois ou quatre étages, « cités mobiles » faites de baraquements individuels, ou encore « cités provisoires » en matériaux préfabriqués
C’est au début des années 1970, alors que le dispositif connaissait sa phase de diffusion la plus forte, que l’administration l’a défini comme « ensembles d’habitations affectées au logement provisoire des familles, occupantes à titre précaire, dont l’accès en habitat définitif ne peut être envisagé sans une action socio-éducative destinée à favoriser leur insertion sociale et leur promotion » .

Mehdi Charef écrivain, dramaturge, scénariste et réalisateur français.

Cité de transit du Port de Gennevilliers – Monique Hervo – 1973

Cité de transit du Port de Gennevilliers – Antar Nebchi – 1986
  • Banlieues populairesPlanifications et rénovations urbaines
Maquette de représentation des grands ensembles

La scénographie mise en œuvre dans cette partie de l’exposition nous transporte au plus près des habitants et au cœur de leur intimité de vie.
La question du patrimoine est au centre de nombreux projets de réaménagement urbain. Au fur et à mesure de la démolition des grands ensembles construits dans les années 1950 et 1970, remplacées par de nouveaux types  d’habitations, des constructions avant-gardistes qui relèvent, des années plus tard, d’espaces relégués de la région parisienne. Avec l’extension des métropoles du pays, se pose la question : que faut-il remplacer et que faut-il conserver ? 

Après avoir construit « les grands ensembles » pour reloger les habitants des bidonvilles (peut-être un peu dans la précipitation et à moindre coût ?), les locataires des cités de transit ou de logements HBM (Habitations Bon Marché), mal conçus, vont assister à la destruction de leurs logements. « Tout bascule et disparaît dans cette destruction brutale qui pulvérise la mémoire, le quartier… »

Un spectacle cruel pour celles et ceux, femmes, hommes, enfants, qui ont vécu là.

Les implosions d’immeubles, photographiées en noir et blanc, accentuent le caractère dramatique de cette technique de démolition, aujourd’hui abandonnée tant elle était violente pour les habitants, qui voyaient leurs souvenirs partir en poussière avec les lieux. 


Les implosions – Meaux 24 avril 2004 – Mathieu Pernot
Cette implosion d’une barre d’immeuble à Meaux en 2004 ne sera ni la première, ni la dernière.

L’installation « déménagements » d’Anne-Laure Boyer invite les visiteurs et les visiteuses à s’installer dans un appartement composé de meubles et objets recueillis auprès de 17 familles pendant leur déménagement, avant la démolition de leurs immeubles puis leur emménagement dans un autre lieu d’habitation. Les meubles et les objets présentés recréent un espace intime et sensible. Et les photographies de ces appartements désormais disparus et ici accrochés au mur donnent corps à ces histoires personnelles.


Déménagements – Anne Laure Boyer – 2008 – 2012 Scènes de vie
  • Banlieues engagées : des luttes en héritage

« Les grands ensembles, qui devaient faire entrer la France dans la modernité, ont permis de résoudre en partie la crise du logement. Cependant, ces quartiers souvent vétustes, mal desservis par les transports publics, peu connectés au reste du tissu urbain et aux structures municipales, ont progressivement vu se cristalliser des situations de relégation territoriale et de ghettoïsation sociale, alimentant des revendications citoyennes mêlant aspiration à la dignité des conditions de vie et à l’égalité des droits, et demande de justice liée à un sentiment de révolte contre les discriminations et le racisme. 
Des années 1970 et 1980 jusqu’à l’été 2024 s’écrit dans ces espaces en marge une histoire des luttes et des contestations symbolisées par des lieux comme les Minguettes ou Clichy-Montfermeil, et par des morts tragiques comme celles de Zyed Benna et Bouna Traoré, Amine Bentounsi, Adama Traoré, Cédric Chouviat ou Nahel Merzouk. 
Ce sont dans les espaces associatifs et médiatiques mais également dans les champs artistiques et culturels que se formulent les luttes et les mobilisations, à la croisée de l’histoire sociale, ouvrière et migratoire. (Extraits du Dossier de Presse )

Certain.es se révoltent contre la pauvreté, le racisme ou le mépris qui frappent ces territoires. D’autres montrent qu’il y a beaucoup de solidarité et de créativité dans les quartiers.
En 1981, ce mal-être atteint un point critique quand le quartier des Minguettes, à Vénissieux s’embrase. En 1983, face à un racisme croissant faisant de nombreux morts dont des enfants, la jeunesse s’organise et imagine une réponse forte : une marche pacifique à travers la France pour défendre les droits des enfants de l’immigration.

« Cette dernière section présente autant de manières d’habiter le monde, d’exprimer une nécessité intérieure et artistique et de lutter contre des clichés trop largement implantés dans l’inconscient collectif. En brisant les frontières traditionnelles entre centre et périphérie, ces nouvelles images ne demandent qu’à circuler plus encore. » (Extraits du Dossier de Presse.)

La jeunesse s’organise :

Et des œuvres d’artistes : 

« Depuis les années 1980, des émissions comme « Enquête d’action » ou « Zone interdite », ainsi que des films comme « La Haine » ou « Athéna » ont souvent dépeint les « banlieues » comme des lieux dangereux, associés à la violence et à la révolte.
Ces territoires ont été réduits à des clichés, qualifiés de zones à « nettoyer au karcher » par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en 2005, ou de « no go zones » dangereuses à pénétrer, invisibilisant de ce fait les habitants de ces quartiers. Disparaissent ainsi dans le fracas médiatique des vies quotidiennes joliment banales, faites d’anecdotes personnelles et familiales autant que d’histoire collective et de logiques systémiques. De multiples voix s’attachent aujourd’hui à les raconter artistiquement. 

Nombreux sont les artistes et les initiatives culturelles qui viennent proposer des images de fierté et de réussite en réponse aux archétypes réducteurs et aux raccourcis. Que ces images prennent la forme de récits, de reportages photographiques ou de peintures, de lieux ou de manifestations festives et culturelles, elles s’attachent à montrer des visages et des trajectoires intimes bien éloignées des clichés. 

Ces propositions vont au-delà des contre-récits – qui seraient pensés en opposition avec les grands discours ayant fondé des stéréotypes vivaces : elles révèlent des aspects de la vie ordinaire qui se déploie dans ces lieux pluriels que cache le singulier de la notion de « banlieue ». Elles sont une ode à la banalité de quotidiens souvent bien moins sensationnalistes que certaines voix voudraient le faire croire. » (Extraits du dossier de Presse.)

Cindy Banani : »Massacre du 17 octobre 1961″ ( broderies)
Cindy Banani :  » 1983, meutre de Toufik Ouanes, 9 ans »
Dans le salon de la grand-mere – Neila Czermak Ichti 2019
Ibrahim Meite-Sikely : « Super banlieusard »
ÉCOUTONS DE NOUVEAU
CHLOÉ DUPONT :

Dans la dernière salle de l’exposition les visiteurs et les visiteuses sont mis.es à contribution.
Des petites fiches les engagent à laisser « une trace », à partir de la consigne d’écriture :
…. « Dans ma banlieue rêvée, je peux…. »

Espace d’écriture: « Banlieue rêvée » : écrire pour laisser une trace.

La playlist de l’exposition « Banlieues Chéries » du Palais de la Porte Dorée, en partenariat avec le CNM. Une immersion dans l’univers musical des banlieues.


Visite de l’exposition « Banlieues Chérie avec Sélim Krouchi journaliste au Bondy Blog,
l’occasion de discuter avec Horya Makhlouf, co-commissaire de l’exposition. 

On peut regretter qu’aucune part n’ait été faite dans l’exposition à « Banlieue 89 », association créée par Roland Castro et Michel Cantal-Dupart ( deux architectes ayant participé aux mouvements de Mai 68 et se révoltant contre la logique des grands ensembles )qui avait pour objectif de « faire une révolution en banlieue » tant architecturale que culturelle.
En 1983, les animateurs de l’association organisent une visite de la banlieue parisienne pour François Mitterand, le faisant passer par la Cité des 4000 à La Courneuve et à la /Cité jardin de la Butte Rouge de Chatenay-Malabry. À la suite de cette visite, une mission interministérielle est créée reprenant le nom de l’association « Banlieue 89 » et dirigée par ses animateurs.
En 1991, la mission fusionne avec la Délégation Interministérielle à la Ville et 116 projets sont engagés…

Pour faire suite à votre visite vous pouvez lire ce récit de François Maspéro de 1990:
« Les passagers du Roissy-Express »
Un journaliste et une photographe décident de « faire » la ligne B du RER comme une croisière… Déroutant…


Musée de l’Histoire de l’Immigration

Palais de la Porte Dorée
293 avenue Daumesnil 75012 Paris
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