PLANTU-REZA
Artistes humanistes et engagés, Plantu et Reza ne cessent d’appeler à la fraternité et au dialogue.
Quel autre musée que le Musée de l’Homme à Paris pour accueillir jusqu’au 31 décembre une exposition engagée dans laquelle deux témoins essentiels des grands bouleversements de ces dernières décennies font dialoguer leurs pratiques et leurs visions du monde avec le désir commun de préserver leur liberté de parole et leur liberté d’informer en dépit des menaces.
Les œuvres croisées des deux journalistes sont réparties en cinq sections : Documenter les conflits, Dénoncer les inégalités, Suivre les migrations, Mettre l’environnement au premier plan, Défendre la liberté d’expression.
On le voit, ce ne sont pas des sujets faciles, et ils sont toujours d’actualité quelques quarante ans après leurs premiers travaux.
Tous les sujets sont agrémentés de commentaires de Reza et Plantu sur leurs œuvres respectives, ce qui aide à mieux comprendre ce qui les rapproche. Une exposition brillante, aidant à notre propre réflexion sur les sujets abordés.
L’un, Reza, photographie le monde. Il a connu la torture, l’enfermement et l’exil : En 1974, à l’âge de 22 ans, il est emprisonné pour 3 ans et torturé, dans son pays natal, l’Iran, pour avoir affiché, sur les murs, des photographies dénonçant la misère. Il rencontre de grands intellectuels iraniens, eux aussi emprisonnés. Il déclare: « C’était extraordinaire de se trouver si jeune au milieu des plus prestigieux écrivains, philosophes, romanciers et cinéastes du pays « . Il apprend le français et décide de s’engager aux côtés des populations en détresse. Depuis lors, il n’a jamais cessé de couvrir les conflits pour les rendre visibles aux yeux du monde entier, avec les dangers que cela implique. En 1981, il fuit l’Iran et s’exile à Paris.
L’autre, Plantu, dessine. Il a connu les menaces de mort et les attentats. Il est, depuis plusieurs années sous protection policière. Il a illustré quotidiennement l’actualité à la Une du journal « Le Monde » de 1985 à 2021. Il a obtenu le prix du document rare au Festival du scoop et du journalisme d’Angers en 1991 et le prix de l’engagement démocratique à Strasbourg, en 2019.
Il a créé la « Fondation Plantu » dont l’objet est d’établir des passerelles entre jeunes « oublié.es de la République » et artistes, sportifs et professionnels de la cuisine.
Plantu et Reza se croisent pour la première fois en avril 2011, aux « Rencontres Internationales du Dessin de Presse » au Mémorial de Caen.
Naît, à cette occasion, une complicité qui les conduira, en 2020, à projeter leurs travaux sur un même écran, puis à les marier de manière plus intime, dans un véritable entrelacement artistique.
Cette création aboutit à une série d’œuvres communes, publiées dans un livre en 2021 chez Gallimard, et présentées dans cette nouvelle exposition. (Extrait du dossier de presse-avril 2023).
« Dans un contexte où couvrir l’actualité est une prise de risque quotidienne pour les journalistes comme pour les artistes, le Musée de l’Homme tenait à mettre en valeur le travail de ces deux grands défenseurs de la liberté d’expression. »
« C’est une alliance intellectuelle et artistique singulière que le Musée de l’Homme met à l’honneur : celle d’un photojournaliste et d’un dessinateur de presse qui ont choisi de marier leurs œuvres… Que celles-ci se rejoignent, se complètent ou s’opposent, (qu’elles aient plusieurs décennies d’écart), elles renouvellent l’occasion de prendre conscience des bouleversements climatiques, politiques, économiques et sociaux de notre temps. (Aurélie Clémente-Ruiz. Directrice du Musée de l’Homme).
Reza et Plantu ont couvert la majorité des grands confits de ces dernières décennies, chacun à sa manière. Si le regard du dessinateur implique par nature un recul et une analyse, celui du photographe le projette forcément sur le terrain, au cœur de l’événement. Deux postures différentes, mais une volonté et un but communs : dénoncer les injustices et faire entendre les voix de ceux qui ne peuvent s’exprimer.
Plantu : « Au début, je voulais faire quelque chose d’assez sage, mais Reza m’a dit : « Non, rentre dans mes photos ». On a gesticulé ensemble entre son idée de photographe, et mes croquis. Mais on retrouve les deux propositions graphiques. Même si j’ajoute les couleurs à ses photos, même s’il y a une fusion, je ne touche pas à l’essentiel. Ce travail sur l’image est mis au service de valeurs démocratiques. La démocratie si on s’endort, on sera balayé. Donc il faut toujours être éveillé. D’où l’intérêt de faire des photos, des dessins, de la chanson, des opéras, du rap… » La proposition la plus importante pour nous, c’est l’imagination du visiteur. »
« Chacun de nous connait le danger, précise Reza. Nous connaissons l’impact de ce que nous faisons. Ce travail a créé une nouvelle forme d’image qui a plusieurs couches de lecture, surtout pour les jeunes qui sont beaucoup plus habitués à la bande dessinée et à la photographie par les réseaux sociaux. »
« J’ai fait le lien entre une photographie et l’une de mes caricatures. Les coïncidences historiques et esthétiques entre nos deux parcours se sont révélées troublantes » déclare Plantu, tandis que Reza a « le sentiment de partager avec Plantu une forme de compréhension du monde ».
Effectivement, on constate des similitudes inattendues dans un grand nombre de situations présentées ici.
Par exemple, ci-dessus, Reza photographie en 1984 un enfant effaçant un portrait du dictateur Sekou Touré, qui vient de mourir, tandis que Plantu représente en 1990 un blanc juché sur le dos d’un noir pour peindre un dessin exprimant l’égalité entre les blancs et les noirs !
Dans d’autres exemples, à partir d’une photographie de Reza, Plantu dessine sa propre vision du même sujet ou complète celle de Reza.
Plantu:
« On voit cet Afghan avec sa femme et leur bébé. Ils sont quelque part sous la neige dans la montagne ou pas loin de Kaboul.
Ils ont une histoire et j’aime bien penser à l’histoire plus globale de tous ces migrants qui arrivent à Paris, que l’on peut voir porte de la Chapelle, sous le métro. Je l’ai mis en dessin. Chacun de ces migrants a son histoire. Reza nous en donne une. Il y a notre regard sur l’arrivée des migrants d’Afghanistan. Puis il y a l’imaginaire qui travaille. »
Parfois, c’est une photo magnifique de Reza d’un enfant avec un peu de terre dans sa main de laquelle sort une petite pousse que Plantu prolonge avec un dessin qui présente le tragique de l’agrobusiness sur les pays en développement.
Quelquefois, au cliché aérien, Plantu répond par un pas de côté humoristique, ou grinçant. Plus loin, ce sont des regards féminins, ou des corps de femme comme celui, splendide et comme en apesanteur, de Sahar Dehghan en train de danser. » Plantu réagit par un conseil d’administration entièrement masculin dont le chef dicte à une secrétaire « Et comme dit le poète : « La femme est l’avenir de l’homme »… Notez Brigitte ! »
ARTICLE KADIA RACHEDI
PHOTOS: KADIA RACHEDI et MUSÉE DE L’HOMME
« PLANTU-REZA REGARD CROISÉS »
au Musée de l’Homme jusqu’au 31 décembre 2023
17 Place du Trocadéro
75016 PARIS