Le poète Guillaume Apollinaire avait surnommé ainsi le peintre Marc Chagall qui, pour lui, était au-delà du surnaturel…
Et c’est bien là ce qui est troublant chez Chagall: la naïveté élaborée du trait, les couleurs franches, les multitudes de symboles, l’évanescence des situations pourraient nous éloigner de la réalité qu’il veut décrire…
Et pourtant, devant chaque tableau, on perçoit nettement le message transmis: la vie difficile dans les villages russes, l’exode, la guerre, les persécutions, l’antisémitisme…
Empruntant aux différents mouvements artistiques tels que le cubisme et le surréalisme, il restera toujours indépendant en « soignant » – en quelque sorte – l’articulation entre ses racines juives et russe et la modernité des courants artistiques qu’il va rencontrer et fréquenter à Paris.
Né en 1887 en Biélorussie, il quitte définitivement son pays à l’âge de 35 ans pour l’Allemagne, la France puis les États-Unis où il s’exile de 1941 à 1948 pour fuir le nazisme. Il reviendra en France où il vécut sur la côte d’Azur jusqu’à la fin de sa vie, en 1985.
À travers son oeuvre et son engagement politique, il exprime ses voeux les plus chers: combattre les inégalités sociales aussi bien que les différences de traitement entre les religions. Il rêve d’une société lissée et fraternelle, d’un monde de paix, à la fois idyllique et paradisiaque…
Rapidement reconnu et admiré tant par le public que par les institutionnels, Marc Chagall se verra confier le plafond de l’Opéra Garnier de Paris, l’illustration des Fables de La Fontaine et de la Bible, aussi bien que des étiquettes pour le vin « Château Mouton Rothschild », des vitraux et des mosaïques, partout dans le monde!
À NICE…
Le musée Chagall de Nice fut le premier musée construit du vivant d’un artiste (d’autres s’ensuivirent comme le musée Soulages à Rodez par exemple).
C’est toujours pour moi une émotion très forte de contempler un tableau de Chagall, depuis ce jour où, adolescente, j’ai pris conscience – en observant les traces de coups de pinceau de » La création de l’homme « – que le tableau que je regardais avait été peint par quelqu’un de bien réel, des années auparavant, et qui souhaitait me dire quelque chose!
À travers les grandes salles lumineuses et calmes du musée on s’envole littéralement dans son monde onirique jusqu’à l’impression de ne plus toucher terre… Et je pense au roman de Boulgakov : « Le Maître et Marguerite », que Chagall aurait pu illustrer! Même humour un peu grinçant, vision burlesque du monde, voire blasphématoire…
Je regrette juste qu’il n’y ait pas un glossaire des symboles, qui permettrait aux visiteurs de mieux s’approprier ses rêves!
« Marc Chagall
Il dort
Il est éveillé
Tout à coup, il peint
Il prend une église et peint avec une église
Il prend une vache et peint avec une vache
Avec une sardine
Avec des têtes, des mains, des couteaux
Il peint avec un nerf de bœuf
Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive
Avec toute la sexualité exacerbée de la province russe
Pour la France
Sans sensualité
Il peint avec ses cuisses
Il a les yeux au cul
Et c’est tout à coup votre portrait
C’est toi lecteur
C’est moi
C’est lui
C’est sa fiancée
C’est l’épicier du coin
La vachère
La sage-femme
Il y a des baquets de sang
On y lave les nouveaux-nés
Des ciels de folie
Bouches de modernité
La Tour en tire-bouchon
Des mains
Le Christ
Le Christ c’est lui
Il a passé son enfance sur la croix
Il se suicide tous les jours
Tout à coup, il ne peint plus
Il était éveillé
Il dort maintenant
Il s’étrangle avec sa cravate
Chagall est étonné de vivre encore »
BLAISE CENDRARS
In Dix-neuf poèmes élastiques
« CHAGALL, LE PASSEUR DE LUMIÈRE«
Empruntant le titre du roman de Bernard Tirtiaux:
« Le passeur de Lumière. Nivard de Chassepierre, maître verrier »,
le musée propose une exposition temporaire sur les vitraux créés par
Marc Chagall dans les années 50.
« En pleine maîtrise de ses moyens, Chagall a mis tout son talent de coloriste et de créateur d’images au service de cette technique exigeante pratiquée avec inventivité par Chagall et ses complices et amis, Charles Marq et Brigitte Simon. La touche finale, constituée des multiples rehauts de grisaille que Chagall apposait sur le vitrail pour faire vibrer la matière, nous offre toute la liberté et générosité de la main de l’artiste. En retour, le vitrail lui a permis de transcender les limites matérielles de la peinture en inscrivant les reflets changeants de la lumière comme une composante intrinsèque de l’œuvre. »
(Extrait du Dossier de Presse/Musée Marc Chagall)
C’est passionnant de pouvoir admirer les cartons de travail, les outils des maîtres verriers, voir les documentaires et les reproductions de vitraux apposés sur les fenêtres du musée et l’étonnante salle de l’auditorium où le clavecin décoré par Chagall trône sur la scène environnée des vitraux originaux « La création du Monde »!
Mais comme pour les vitraux de Soulages à Conques, je ne peux que vous inciter à aller les voir « en vrai », au détour de vos voyages!
En France vous pouvez visiter la cathédrale de Metz, de Reims, l’abbaye de Moissac, la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg, l’église de Le Saillant…
– Le musée Chagall de Nice
se situe avenue du Docteur Ménard à Nice, dans le quartier Cimiez.
www.musee-chagall.fr
– Parmi les très nombreux ouvrages sur Marc Chagall,je vous recommande celui de Ingo Walther et Rainer Metzger:
« CHAGALL » aux éditions TASCHEN (10 euros.)
– Et le roman « Le passeur de Lumière » de B.Tirtiaux, sur l’apprentissage d’un jeune maître verrier à travers l’Europe et l’Orient.. Édition Folio.