« LA LOI SUR L’IVG 1974 / LE DISCOURS DE SIMONE VEIL »
Jusqu’au 2 septembre 2024 – Archives nationales à PARIS.
Une exposition consacrée au discours de Simone Veil prononcé le 26 novembre 1974 à l’Assemblée Nationale, sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. Une exposition atypique dans la mesure où elle est contenue dans une seule salle, « un format volontairement resserré qui invite le visiteur à découvrir le manuscrit original du discours annoté de la main de Simone Veil et sa version dactylographiée. À travers ces deux ensembles de feuillets et les documents qui les accompagnent, c’est un moment décisif du combat pour la conquête des droits des femmes que les visiteurs peuvent (re)découvrir. » (extrait du dossier de presse).
Pourquoi cette exposition maintenant ? Charlène Fanchon, l’une des commissaires scientifiques de l’exposition, nous donne quelques explications :
« Dans une volonté démocratique, les Archives nationales ont mis en place « Les Remarquables », un cycle d’expositions dont la programmation est choisie par les visiteurs. À l’été 2023, nous avons soumis 13 documents au vote du public. Parmi eux : le contrat de construction de la tour Eiffel ou encore le seul portrait de Jeanne d’Arc réalisé de son vivant figurant en marge d’un registre du Parlement de Paris. C’est le discours de Simone Veil défendant le projet de loi pour l’IVG en 1974 à l’Assemblée nationale qui a recueilli 46% des suffrages des 7525 votants. Ce plébiscite résulte certainement d’une conjonction de facteurs car ce vote est intervenu dans le contexte du recul de ce droit aux États-Unis et peu de temps après l’engagement pris par le Président de la République d’inscrire le recours à l’IVG dans la Constitution. La mobilisation de la presse et des associations a peut-être contribué à sensibiliser les gens et leur a rappelé le rôle fondateur de Simone Veil à cet égard. Les Archives Nationales ont décidé d’inaugurer l’exposition le 8 mars pour marquer la Journée internationale des droits des femmes. » (Extrait d’une interview dans le magazine « Enlarge your Paris » )
Pour désigner la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) adoptée le 20 décembre 1974 et promulguée le 17 janvier 1975, on parle couramment de la « loi Veil », car cette loi a pris le nom de celle qui a été chargée de la porter, Simone Veil (1927 – 2017), ministre de la Santé de 1974 à 1979, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (de 1974 à 1981).
L’Interruption Volontaire de Grossesse est aussi désignée par ses sigles : IVG, ou par le mot « avortement ». C’est un acte médical qui permet d’interrompre une grossesse dans un temps limité après la fécondation. Ce temps est déterminé par la loi, et a varié au cours des années.
Actuellement , en France, toute femme enceinte, majeure ou mineure, a le droit de choisir d’interrompre sa grossesse dans le respect du délai légal. La demande ne peut être faite que par la femme enceinte : il s’agit d’un choix personnel. L’IVG est remboursée par la Sécurité Sociale.
Parler de la loi sur l’IVG c’est revenir sur des décennies de drames, de luttes, de détermination des femmes, c’est parler du contexte de violence auquel Simone Veil a été confrontée, c’est aussi parler de l’après le vote de la loi, des obstacles et des « commandos anti-ivg » et du futur…
Nous allons suivre ce long chemin avec la visite de l’exposition et des documents sonores ajoutés pour illustrer certaines étapes importantes pour aboutir au vote de la loi. En effet, cette loi de 1975 est l’aboutissement d’un compromis qui ne doit pas masquer l’intensité des luttes qui l’ont précédées.
Une salle unique avec des espaces bien définis, des panneaux, des vitrines et un écran :
DÉNONCER LA LOI DE 1920
Comment l’IVG devient un sujet de société :
En 1920, si l’avortement est déjà interdit par l’article 317 du Code pénal, la loi du 31 juillet 1920 renforce sa répression. Elle condamne tout à la fois « la provocation à l’avortement », la révélation de procédés contraceptifs et « la propagande anticonceptionnelle ». Dans le contexte de forte angoisse démographique faisant suite à la Première Guerre mondiale, l’avortement est considéré comme un « péril national ».
À la Libération, en 1945, la lutte contre l’avortement clandestin se poursuit, avec un pic de répression en 1946. Dans les années 1970, environ 400 condamnations par an sont prononcées. Mais l’ampleur du phénomène est bien plus large, puisque certains estiment que plus de 500 000 avortements sont réalisés clandestinement chaque année.
De la mobilisation à la dénonciation :
Le caractère répressif de la loi de 1920 est dénoncé, dès les années 1950, par les partisans d’un accès libre aux contraceptifs modernes (diaphragmes, spermicides puis, plus tard, pilules et stérilets) afin, précisément, de prévenir les avortements clandestins et leurs dangers pour la santé des femmes.
En 1956, dans un contexte de mobilisation et de dénonciation du problème de santé publique que constituent les avortements clandestins, naît le Mouvement français pour le planning familial, d’abord sous le nom de « La Maternité heureuse ».
Après dix ans de mobilisation, la loi du 28 décembre 1967 autorise la vente de contraceptifs, mais reste restrictive sur plusieurs points. Les mineures doivent avoir une autorisation parentale pour obtenir la pilule ou le stérilet ; les pharmaciens tiennent des carnets à souches pour les contraceptifs oraux ; la Sécurité sociale ne rembourse pas les moyens de contraception…
Dans le contexte de l’après 1968, des voix s’élèvent pour une libéralisation de l’avortement.
Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF), qui émerge sur la scène publique à partir de 1970, porte la revendication de l’avortement libre et gratuit au nom de la libre disposition de leur corps par les femmes. Les militantes du MLF font connaître leur position dans le manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté, publié par le journal « Le Nouvel Observateur » le 5 avril 1971. Paraphé par des femmes célèbres comme par des militantes anonymes qui ont bravé les interdits légaux et moraux, il fait figure d’événement.
L’année suivante, les « procès de Bobigny » deviennent les procès politiques de l’avortement. (Procès contre une jeune lycéenne ayant avorté et contre sa mère qui l’a aidé. Marie-Claire, cette jeune lycéenne, et sa mère – défendues par l’avocate Gisèle Halimi – seront relaxées.)
LA FABRIQUE DU CONSENSUS:
Promulguée le 17 janvier 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la loi relative à l’IVG constitue une avancée sociétale majeure en France dans la conquête des droits des femmes.
Simone Veil, alors ministre de la Santé et porteuse de la loi, trouve les mots pour dénoncer l’injustice qui pèse sur les femmes. Simone Veil défendra d’abord une première loi qui libéralise totalement l’accès à la contraception, désormais remboursée par la Sécurité sociale. Elle travaille ensuite à un texte de compromis sur l’interruption de grossesse.
À l’issue de débats longs et passionnés, le projet de loi sur l’avortement est adopté à 3h40, le 29 novembre 1974 par 284 voix pour et 189 contre. L’opposition de gauche et les députés du centre se sont majoritairement prononcés en faveur du texte. Les députés de la majorité de centre droit, eux, se sont montrés plus réfractaires.
Cependant, la loi Veil est une loi provisoire, elle n’est valable que pour une période de cinq ans, et assortie de contraintes importantes. En effet, le médecin, la sage-femme ou l’auxiliaire médical disposent d’une clause de conscience et peuvent donc refuser de pratiquer l’IVG. Ensuite, les risques et les alternatives à l’avortement doivent être présentés à la femme par le médecin.
Ainsi, avant l’intervention, deux consultations médicales et une consultation psycho-sociale sont obligatoires. Surtout, le coût de l’IVG n’est pas pris en charge par la sécurité sociale, parce que le gouvernement veut favoriser la contraception. Il peut néanmoins être pris en charge sur demande au titre de l’aide médicale.
DE LA DÉPÉNALISATION À LA CONQUÊTE D’UN DROIT :
Dans la perspective du débat à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi de Monique Pelletier (visant à reconduire la loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse), une marche nationale des femmes a rassemblé des milliers de personnes pour réclamer l’avortement libre et gratuit, à l’appel du mouvement de libération des femmes (MLF) et du Planning Familial .
Un des ses objectifs principaux est donc la pérennisation de la loi Veil, votée cinq ans auparavant par l’assemblée nationale et le sénat à titre provisoire.
La manifestation du 6 Octobre 1979 fut une mobilisation “historique” : 50. 000 personnes (des femmes très majoritairement) descendirent dans la rue.
La loi Veil sur la légalité de l’avortement (mais non sur sa gratuité) est reconduite, sans limite de temps, par la loi du 1er décembre 1979 publiée au Journal Officiel le 31 décembre 1979. Les dispositions de la loi sur l’interruption de grossesse sont rendues définitives, un premier bilan est établi en 1985.
Depuis l’adoption de loi Veil, des commandos anti-IVG attaquent des centres où il est pratiqué.
Pour cette raison, la « loi Neiertz » du 27 janvier 1993 créé le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Délit qui est étendu au domaine numérique en 2017.
Au fil des ans, la loi sur l’IVG est approfondie. La libéralisation progresse avec la loi Roudy du 31 décembre 1982 qui met en place le remboursement partiel de l’IVG par la Sécurité sociale. Il est couvert à 100% depuis le 31 mars 2013. Les délais sont étendus jusqu’à douze semaines (2001), la notion de détresse est supprimée (2014).
En 2022, la Cour Suprême des États Unis réduit la liberté d’avorter :
En 2023, après ce recul du droit aux États-Unis, le président Emmanuel Macron s’engage à inscrire le recours à l’IVG dans la Constitution. Si ce texte était adopté, la France deviendrait le premier pays, en Europe, à inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans sa Constitution.
Le 8 mars 2024 la loi est constitutionnalisée:
Ce scellement officiel, devant plusieurs centaines de personnes venues assister à l’événement sous un soleil radieux, vient ponctuer « un long combat pour la liberté, émaillé de larmes, de drames, de destins brisés », a rappelé le Président de la République, saluant la mémoire des « combattantes » Simone Veil, Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, entre autres. Il a également évoqué plusieurs députées et sénatrices de gauche qui ont porté le texte au Parlement, notamment l’insoumise Mathlide Panot et l’écologiste Mélanie Vogel (que le Premier Ministre Gabriel Attal n’avait pas citées au Congrès).
LE DROIT À L’AVORTEMENT
EST DÉSORMAIS INSCRIT DANS LA CONSTITUTION:
« Une marche, pour les femmes, pour leurs droits, pour toujours. » La Présidente de l’Assemblée Nationale, Présidente du Congrès, Yaël Braun-Pivet, a salué, comme l’ensemble de la classe politique, l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution après le vote des députés et des sénateurs réunis en Congrès à Versailles. « En France, c’est à jamais que l’IVG sera un droit, ce vote historique nous honore, a écrit sur X la présidente de l’Assemblée nationale. Par cet acte fort, la France renoue ainsi avec son universalisme, au-delà des clivages partisans. ».
OUI… MAIS…
Vous nous excuserez, Madame La Présidente, mais les associations féministes qui luttent depuis très longtemps ne partagent pas votre enthousiasme, comme nous d’ailleurs.
En effet, La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 comporte un article unique, qui modifie l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
L’accès à l’IVG en France reste une course d’obstacles, au-delà de la constitutionnalisation, des freins subsistent quant à son applicabilité.
Si l’entrée dans la Constitution de la « liberté garantie » des femmes à recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) est à la fois une victoire symbolique et un progrès pour les droits des femmes, les freins existent encore, dans notre pays, pour accéder à l’avortement :
– La question des délais de recours à l’avortement,
– La double clause de conscience des médecins, instaurée par la loi Veil,
– Les difficultés pour les centres qui pratiquent l’IVG…
Le véritable enjeu, au-delà de la protection renforcée par la constitutionnalisation, est bien l’applicabilité de l’IVG, une intervention à laquelle environ 230 000 femmes ont recours chaque année, un chiffre relativement stable.
Parler de « liberté garantie » et non de « droit »… Où est la garantie? il suffira qu’un gouvernement décide de ne plus rembourser l’acte pour qu’un très grand nombre de femmes ne puissent plus disposer de cette « liberté garantie par l’article 34 de la Constitution » et retournent à la souffrance et aux pratiques dangereuses !
C’est pourquoi les femmes vont continuer le combat pour garantir le droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE :
23 octobre 1982, une rétrospective sur la lutte des femmes pour obtenir le droit à l’avortement. Archives et banc titres rappellent les grands moments de ce combat.
Images d’archive INA Institut National de l’Audiovisuel :
Article et photos: Kadia RACHEDI
Les Archives Nationales se trouvent à l’Hôtel de Soubise
60 rue des Francs-Bourgeois Paris 3°.